Tesla, hybride, Chine : Le Maroc au carrefour d’une mutation automobile sous contrainte
Par Driss El Filali
L’annonce de l’implantation officielle de Tesla au Maroc, actée en juin 2025, aurait pu passer pour un signal fort d’accélération vers la mobilité électrique. Mais en réalité, cette arrivée symbolique ne change pas la donne de manière immédiate. Certes, Tesla Morocco a été enregistrée avec un capital de 27,5 millions de dirhams et prévoit un showroom à Casablanca, accompagné de quelques bornes Supercharger. Pourtant, sur le terrain, les conditions restent peu propices à un basculement rapide du parc automobile marocain vers l’électrique. L’infrastructure reste très insuffisante, le cadre réglementaire demeure flou, et aucune prime à l’achat ou subvention directe n’a encore été instaurée pour accompagner les véhicules à faibles émissions.
Selon les dernières données, le Royaume ne dispose que d’environ 1 500 bornes de recharge, dont seulement une centaine en courant continu compatibles avec les recharges rapides. Ces bornes DC, nécessaires pour une recharge entre 20 et 80 % en moins de 45 minutes, représentent à peine 10 % du total. La grande majorité des installations fonctionne encore en courant alternatif, avec des temps de recharge bien plus longs, peu compatibles avec une expérience fluide et généralisée. Ce décalage technique freine fortement la montée en puissance des véhicules 100 % électriques, qui ne représentent encore qu’environ 1 % des ventes de véhicules neufs au Maroc.
À l’inverse, l’hybride tire clairement son épingle du jeu. Désormais, près de 10 % des immatriculations neuves concernent des motorisations hybrides. Ce chiffre a doublé en deux ans. Dans un contexte de prix élevés des carburants et d’urbanisation croissante, ces modèles s’imposent comme une solution de compromis entre thermique et électrique. Ils séduisent notamment les ménages soucieux de réduire leur consommation sans se heurter aux contraintes de recharge. Pour les concessionnaires, l’argument est double : ces véhicules sont plus accessibles financièrement et offrent une autonomie rassurante, notamment en ville.
En parallèle, le marché connaît une autre révolution silencieuse : la percée des marques chinoises. Longtemps perçues comme peu fiables ou mal adaptées aux exigences marocaines, elles redessinent désormais la carte de l’offre automobile. BYD, Changan, GWM, Zeekr, Chery ou encore Omoda proposent des véhicules bien équipés, garantis, parfois hybrides ou électriques, à des prix souvent inférieurs à la concurrence européenne ou japonaise. Leurs réseaux de distribution se structurent rapidement, soutenus par des alliances avec des groupes marocains comme Auto Hall, Global Engines ou Africa Motors. Résultat : les marques chinoises gagnent du terrain sur tous les segments, du SUV urbain à la citadine hybride.
Le marché automobile dans son ensemble reste en forte progression. De janvier à mai 2025, les ventes de véhicules neufs ont atteint près de 89 000 unités, en hausse de 36,7 % par rapport à la même période de 2024. Cette dynamique s’explique autant par une demande post-Covid rattrapée que par l’effet d’offres plus diversifiées, notamment dans les segments hybrides. Dacia reste en tête des ventes avec 4 579 unités écoulées en mai 2025, suivie de Renault, Peugeot, Hyundai et Volkswagen, mais les challengers chinois grignotent mois après mois des parts de marché.
Malgré ces signaux positifs, la transition technologique du parc marocain reste lente, fragmentée et dépendante d’un écosystème encore inachevé. Les avancées constatées proviennent avant tout du secteur privé. L’absence de vision stratégique publique intégrée, incluant des incitations claires, un plan national de déploiement d’infrastructures et une fiscalité adaptée, limite l’effet d’entraînement. Ce décalage est d’autant plus visible que d’autres pays émergents, comme l’Égypte, ont déjà mis en place des primes à l’achat et des plans de subvention massifs pour accompagner cette mutation.
La question du prix reste enfin centrale. Après des hausses soutenues entre 2021 et 2023 dues aux coûts logistiques et à la flambée des matières premières, les tarifs semblent se stabiliser en 2025. Cela ouvre une fenêtre d’opportunité, à condition de ne pas la laisser se refermer. Car si les concessionnaires confirment un regain de dynamisme sur le terrain, ils reconnaissent aussi une attente forte vis-à-vis de l’État. Le risque, pour les marques comme pour les clients, serait de voir cette transition rester à l’état de vœu pieux, freinée par un réseau de recharge embryonnaire, une distribution encore fragmentée et l’absence de politique publique intégrée.
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