Taqa–Nareva : Un pacte stratégique pour l’autonomie énergétique et hydrique du Maroc

Par Mohammed Taoufik Bennani
À travers un investissement record estimé à 130 milliards de dirhams, le Maroc et les Émirats arabes unis concrétisent un partenariat industriel d’envergure, qui redessine les contours de la souveraineté énergétique et hydrique nationale. Ce projet, scellé par trois protocoles d’accord le 19 mai 2025, conjugue dessalement, transfert d’eau, énergies renouvelables et électrification bas carbone dans une vision intégrée, territoriale et durable.
Une alliance maroco-émiratie scellée dans la continuité des engagements royaux
La signature des trois protocoles entre l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), Taqa Morocco, Nareva et le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement marque un tournant. Elle s’inscrit dans la dynamique impulsée par la déclaration conjointe du 4 décembre 2023, conclue à Abu Dhabi entre le roi Mohammed VI et le président émirati Mohamed ben Zayed Al Nahyane. Cette entente stratégique vise la construction d’un modèle industriel durable fondé sur les synergies technologiques Sud–Sud. Elle témoigne aussi d’un engagement mutuel en faveur de la résilience climatique et de l’aménagement équitable du territoire.
Un programme structurant à plusieurs niveaux
Au cœur du projet, plusieurs chantiers d’infrastructure répondent aux grands enjeux nationaux. Sur le plan hydrique, deux composantes majeures se dessinent. La première concerne la mise en place d’un système de transfert d’eau entre les bassins de l’Oued Sebou et de l’Oued Oum Er-Rbia, capable d’acheminer jusqu’à 800 millions de mètres cubes par an. La seconde repose sur le déploiement de stations de dessalement alimentées exclusivement par des énergies renouvelables, avec une capacité annuelle de 900 millions de mètres cubes. Le tarif de référence, plafonné à 4,5 dirhams hors taxes le mètre cube, garantit un modèle économiquement soutenable.
Sur le versant énergétique, le programme prévoit la construction d’une ligne électrique à courant continu haute tension (HVDC), longue de 1 400 kilomètres, entre Dakhla et Casablanca. D’une capacité de 3 000 mégawatts, cette infrastructure stratégique facilitera l’évacuation des excédents d’électricité verte générés dans les provinces du Sud vers le cœur du pays. Elle sera exploitée directement par l’ONEE. Parallèlement, de nouvelles capacités renouvelables totalisant 1 200 mégawatts seront mises en service, auxquelles s’ajoutera une centrale à cycle combiné alimentée au gaz naturel sur le site de Tahaddart, pour une puissance supplémentaire de 1 500 mégawatts.
Un levier pour la réindustrialisation et l’emploi
Le programme ne se limite pas à la fourniture d’énergie et d’eau. Il constitue également un catalyseur de transformation socio-économique. D’après les prévisions du consortium, plus de 25 000 emplois seront créés, dont 10 000 de manière permanente. Ces projets donneront un nouvel élan à la structuration de filières industrielles marocaines dans des secteurs à haute valeur ajoutée, tels que le dessalement, les équipements de transport d’électricité ou encore les énergies renouvelables. Les retombées attendues concernent aussi le transfert de technologie, avec des mécanismes prévus de formation et de montée en compétences pour les jeunes ingénieurs et techniciens. L’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et d’autres institutions pourraient être mobilisées pour développer les filières de formation adaptées.
Gouvernance, financement et cadre réglementaire
La gouvernance du projet repose sur une structure tripartite équilibrée. Taqa Morocco et Nareva détiendront chacun 42,5 % des actifs, tandis que le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement contribuera à hauteur de 15 %. Ce dernier jouera un rôle d’effet de levier, en attirant d’autres financements publics et privés via des appels à concours, aussi bien nationaux qu’internationaux. Le premier accord de développement, relatif à la centrale de Tahaddart, a déjà été conclu, ouvrant la voie à la mobilisation des financements nécessaires pour les autres composantes. Par ailleurs, le projet devra se conformer aux obligations réglementaires, notamment en matière de contrôle des concentrations économiques. Des dispositifs de gouvernance partagée et de transparence ont été prévus pour encadrer les prises de décision et garantir la cohérence avec les politiques publiques nationales.
Acteurs stratégiques : profils croisés
Acteur majeur de l’éolien en Afrique et opérateur intégré de la souveraineté énergétique nationale, Nareva couvre aujourd’hui plus de 20 % de la production électrique du Maroc. Elle déploie une stratégie cohérente, alliant développement de projets dans le Sud à Dakhla, Boujdour et Tarfaya, infrastructures de dessalement, systèmes de transfert d’eau et lignes haute tension. Taqa Morocco, de son côté, est une filiale du groupe émirati Taqa et est cotée à la Bourse de Casablanca. Elle joue un rôle central dans la stratégie bas carbone du Maroc, tout en garantissant la stabilité de l’approvisionnement national à travers la production thermique. Le partenariat entre ces deux acteurs témoigne d’une complémentarité parfaite entre savoir-faire technologique, ancrage territorial et puissance d’investissement.