Royaume-Uni : Après les émeutes anti-immigration, l’heure de couper le mal à la racine
Abdelghani AOUIFIA
Un mois à peine après son arrivée au pouvoir après 14 années dans l’opposition, le parti travailliste britannique s’est réveillé sur une amère réalité sociale révélée par les émeutes fomentées par l’extrême droite contre l’immigration.
Les images diffusées durant toute une semaine de manifestations marquées par des scènes de pillage et d’affrontements violents, ont porté atteinte la réputation d’un Royaume-Uni qui s’enorgueillit de son modèle d’intégration des minorités. Les émeutes ont éclaté suite à la propagation de fake news sur l’identité d’un adolescent auteur d’une attaque au couteau ayant couté la vie à trois fillettes à Southport (nord de l’Angleterre).
Le jeune, né au Pays de Galles, a été présenté sur les réseaux sociaux comme un demandeur d’asile de confession musulmane. C’était suffisant pour les groupes d’extrême droite pour déclencher une vague de colère et de haine contre les étrangers déjà stigmatisés dans un contexte de crise économique. Les émeutes étaient les plus graves dans le pays depuis 2011. Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Keir Starmer a été ferme dans sa réaction.
La gestion de la crise a été efficace, conciliant intervention musclée des services de l’ordre et action urgente du système judiciaire. Plus de 770 arrestations ont eu lieu et près de 350 personnes ont été inculpées. Certaines des personnes impliquées dans les émeutes peuvent écoper des peines d’emprisonnement de 10 ans, a indiqué dimanche Stephen Parkinson, directeur des poursuites pénales en Angleterre et au Pays de Galles.
La réponse proactive du Premier ministre n’était pas surprenante. Starmer a fait appel à son expérience dans la gestion de ce genre de crises accumulée durant les années qu’il avait passées dans le poste de procureur en chef d’Angleterre et du Pays de Galles. C’était lui qui a supervisé les poursuites contre des milliers de personnes impliquées dans les émeutes qui ont secoué l’Angleterre en 2011. Maintenant que la situation semble se calmer, les Britanniques attendent pour voir comment le gouvernement compte agir pour endiguer la tension sociale dans le pays.
L’économie est le premier front d’une bataille qui s’annonce longue et ardue, estiment les analystes de la presse londonienne. La tâche ne sera pas aisée. Les travaillistes ont hérité d’une économie en difficulté. Après deux années de stagnation et d’inflation galopante, l’économie britannique a commencé à donner des signes de reprise timide. Le Fonds monétaire international s’attend à une croissance de 0,7% de cette économie en 2024 et de 1,5% en 2025.
A long terme, les travaillistes doivent œuvrer pour améliorer la croissance économique, soulignent les analystes, relevant que le gouvernement ne doit pas écarter la possibilité de nouvelles flambées des troubles, au regard de la persistance des ingrédients de tension dont le ralentissement économique, la hausse du chômage et les disparités notamment entre un sud industrialisé et un nord qui pâtit d’énormes déficits socio-économiques. Tony Blair, l’ex-Premier ministre travailliste (1997-2007), souligne que l’actuelle direction du parti « est consciente que sans croissance économique et sans une réforme des services sociaux, le pays ne sera pas en mesure de corriger les injustices sociales ».
Le renforcement de la régulation des médias sociaux sera également au menu de l’action gouvernementale. La loi sur la sécurité numérique, adoptée en octobre 2023, a été mise à rude épreuve lors des émeutes de la semaine dernière. Une profonde refonte de cette loi sera opérée pour prémunir la société des dangers des Fake News. Le pays compte aussi adapter les programmes scolaires pour mieux préparer les enfants à faire face à la désinformation et les théories du complot qui circulent en ligne.
« Il est plus important que jamais de donner aux jeunes les compétences nécessaires pour acquérir un sens critique de ce qu’ils voient en ligne », a indiqué dimanche la ministre de l’Éducation, Bridget Phillipson.
En parallèle, le gouvernement sera attendu sur la gestion de l’épineuse question de l’immigration. Des voix même au sein du parti travailliste appellent à un contrôle strict des flux migratoires, en particulier au moment où le pays commence à renouer avec la croissance économique après la pandémie du Covid-19 et la gestion contestée du gouvernement conservateur. « Nous avons besoin d’un plan pour contrôler l’immigration » écrit Blair dans une tribune libre sur les colonnes de l’hebdomadaire dominical, Sunday Times.
La sortie de l’architecte du New Labour, la politique du renouveau qui avait permis aux travaillistes de dominer la politique britannique de 1997 jusqu’à 2010, a incité certaines voix à appeler à un renouveau du labour pour pouvoir s’installer confortablement au pouvoir.
Il s’agit d’un renouveau qui doit impérativement passer par l’émergence d’un nouveau modèle social rassurant, non pas pour les anarchistes qui ont semé le chaos dans les rues du pays, mais pour les votants attachés à ce Royaume-Uni qui se définit volontiers comme un pays d’immigration, ouvert et accueillant.