Rabat–Alger : Le compte à rebours américain
Par Hamza Abdelouaret
L’annonce est tombée comme un éclair diplomatique. Steve Witkoff, envoyé spécial du président Donald Trump pour le Moyen-Orient et l’Afrique, a affirmé que Washington travaillait activement à un accord de paix entre le Maroc et l’Algérie « dans les 60 jours ». Une phrase brève, presque lancée à la volée, mais qui a aussitôt résonné dans les capitales maghrébines comme le signe d’un retour américain sur un terrain que les grandes puissances considèrent à nouveau comme stratégique. Derrière cette promesse de rapprochement, c’est une véritable bataille d’influence qui s’esquisse : celle d’un Maghreb que les États-Unis veulent replacer dans leur orbite diplomatique face aux ambitions chinoises et aux avancées russes.
Le Maroc, depuis plus de vingt ans, a méthodiquement bâti son influence à Washington. Cette relation de confiance, fondée sur la stabilité politique et la fiabilité stratégique, a conduit à la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020, scellant un partenariat que peu d’États africains peuvent revendiquer. Le Royaume a su tisser des réseaux politiques, économiques et sécuritaires solides aux États-Unis : think tanks, institutions, forums économiques et relais parlementaires ont tous contribué à installer durablement la cause marocaine dans les esprits de la diplomatie américaine. Aujourd’hui, cette capitalisation de long terme se traduit par une position d’influence claire : Rabat est perçu comme le pivot d’équilibre dans un Maghreb fracturé.
Pour Washington, la nouvelle administration Trump cherche un coup diplomatique rapide. En lançant ce compte à rebours, l’émissaire américain vise plusieurs cibles : apaiser les tensions entre les deux géants du Maghreb, ouvrir des perspectives économiques et sécuritaires communes, mais aussi verrouiller la région dans un environnement pro-occidental. L’idée d’un accord en 60 jours tient plus de la stratégie politique que de la diplomatie de terrain : il s’agit d’envoyer un signal à Pékin et à Moscou que le Maghreb demeure sous observation américaine. Le calendrier serré n’est pas anodin : il coïncide avec les discussions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la nouvelle résolution relative au Sahara, dont les États-Unis tiennent la plume.
Pour l’Algérie, la situation est plus complexe. La question du Sahara ne relève pas seulement d’un différend extérieur : elle constitue un pilier du système politique interne. Elle unit l’élite militaire et sert de vecteur de légitimité nationale. Renoncer à la confrontation avec le Maroc reviendrait à fragiliser ce consensus. D’où la prudence d’Alger face aux injonctions américaines. D’autant que ses alliances se fissurent : les tensions avec Moscou se multiplient, notamment après les remarques cinglantes du ministre russe des Affaires étrangères à propos des frontières héritées du colonialisme. Même la position de la Russie sur le Sahara semble évoluer, reconnaissant implicitement que le plan d’autonomie marocain s’inscrit dans le cadre du droit international. Ces signaux fragilisent le discours traditionnel d’Alger et isolent son appareil diplomatique.
Dans ce contexte, l’administration américaine perçoit une opportunité. En multipliant les pressions diplomatiques et les offres économiques, Washington espère forcer un pas vers la détente. L’objectif réel n’est pas une paix formelle, mais un repositionnement stratégique. Si Rabat et Alger reprennent le dialogue, même symboliquement, cela confirmera la capacité des États-Unis à influencer les équilibres régionaux au moment où la Chine tisse ses routes commerciales africaines et où la Russie renforce ses positions militaires dans le Sahel. Pour Washington, l’enjeu dépasse donc le Sahara : il s’agit de garder la main sur la façade atlantique de l’Afrique et de consolider ses alliances dans un environnement mondial en recomposition.
Rabat, de son côté, avance avec calme et méthode. Le Maroc s’appuie sur des appuis européens solides : la France, l’Espagne, l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont alignés sur la reconnaissance de l’autonomie comme solution sérieuse et crédible. Sur le plan africain, le Royaume renforce ses liens économiques, notamment à travers ses investissements dans les pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest. Dans les chancelleries occidentales, la diplomatie marocaine est désormais perçue comme l’une des plus constantes et des plus efficaces du continent. Cette stabilité fait du Maroc un interlocuteur privilégié pour les États-Unis, qui cherchent à réorganiser leurs priorités africaines autour d’acteurs fiables.
Le pari américain est donc risqué mais calculé. Si l’Algérie choisit la confrontation, Washington confortera davantage le Maroc comme partenaire exclusif et ancrera son leadership régional. Si, à l’inverse, Alger accepte d’ouvrir le dialogue, ne serait-ce que sur des questions techniques, les États-Unis auront réussi à remodeler la carte diplomatique du Maghreb à leur avantage. Dans les deux scénarios, l’Amérique reste gagnante. Mais la clé du succès réside dans la manière dont le Royaume saura transformer cette dynamique en atout durable, sans tomber dans le piège d’une diplomatie de façade.
D’ici la fin de l’année, les 60 jours fixés par Witkoff apparaissent davantage comme une épreuve de vérité que comme un calendrier de paix. C’est un test pour la diplomatie américaine, un révélateur pour la diplomatie algérienne, et une confirmation pour celle du Maroc. Entre les jeux de pouvoir, les recompositions d’alliances et les équilibres à maintenir, le Maghreb devient à nouveau le miroir d’un monde en mutation. Et dans ce jeu d’échecs où chaque mouvement est scruté, le Maroc semble déjà avoir quelques coups d’avance.
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