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Presse marocaine : Une alerte nationale pour sauver un secteur menacé

LA VÉRITÉ


Réunis le samedi 13 avril à l’initiative de la Fédération Marocaine des Éditeurs de Journaux (FMEJ), les professionnels du secteur ont dressé un constat sans appel. La presse marocaine traverse une crise systémique, aggravée par des décisions réglementaires inadaptées et un modèle économique épuisé. Face à cette situation, les éditeurs appellent à une réforme structurelle du soutien public et à une reconnaissance pleine du rôle stratégique des médias dans les grands chantiers du Royaume.

Un secteur affaibli par la fragmentation et l’absence de vision

Dès l’ouverture, le président de la FMEJ, Mahtat Rakkas, a mis en avant l’importance de l’unité pour surmonter les divisions internes qui affaiblissent la profession. Il a dénoncé les querelles de représentativité et appelé à une coordination responsable, capable d’interagir avec les autorités publiques pour défendre les intérêts communs du secteur. Il a également souligné les dysfonctionnements dans la gestion de certaines aides passées, appelant à des mécanismes plus équitables et juridiquement encadrés.

Le décret controversé sur l’aide publique : une barrière d’exclusion pour les plus fragiles

Au cœur des débats, le nouveau décret fixant les conditions d’éligibilité aux aides publiques. Le seuil de 2 millions de dirhams de chiffre d’affaires annuel, imposé pour accéder au soutien, est jugé inatteignable pour la majorité des entreprises de presse, notamment les hebdomadaires, les journaux régionaux ou les supports numériques indépendants.

Cette exigence est perçue comme déconnectée des réalités économiques du terrain. Dans d’autres secteurs, les PME et les TPME bénéficient de dispositifs d’accompagnement progressifs, fondés sur la taille, la capacité financière et la contribution au tissu économique local. Or, la presse, qui partage les mêmes contraintes structurelles, se voit imposer un seuil unique, sans prise en compte de sa diversité.

Des aides publiques limitées, et mal réparties

Le montant global de l’aide publique allouée à la presse marocaine a atteint environ 325 millions de dirhams en 2024. En tenant compte du nombre de bénéficiaires, une cinquantaine à plusieurs dizaines d’entreprises selon les années, cette enveloppe revient à une moyenne mensuelle modeste par structure, insuffisante pour investir, recruter ou même assurer une stabilité durable.

Par ailleurs, la répartition actuelle des aides, avec 80 % consacrés au fonctionnement et seulement 20 % à l’investissement, freine la transformation structurelle du modèle économique. Un rééquilibrage est nécessaire pour permettre aux entreprises de presse de se moderniser et de s’adapter aux évolutions du secteur.

Un écart frappant avec le modèle français

La France consacre chaque année plus de 200 millions d’euros en aides directes à la presse, selon le programme budgétaire du ministère de la Culture. Ces aides sont réparties entre différents dispositifs, notamment 35,1 millions d’euros pour l’aide au portage, 68,2 millions pour l’aide à l’envoi postal, 27,85 millions pour la distribution de la presse quotidienne nationale et 17,3 millions pour le fonds stratégique au développement de la presse.

Ce modèle vise à garantir le pluralisme, à soutenir l’accès à une information de qualité, et à assurer une couverture équilibrée sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones les moins rentables économiquement. Une stratégie qui contraste fortement avec le sous-investissement dont souffre la presse marocaine, contrainte de survivre sans leviers structurels ni vision d’ensemble.

Publicité institutionnelle, un levier stratégique à activer

Pour renforcer la viabilité économique des médias, il est essentiel que les institutions publiques incluent systématiquement les médias nationaux dans leurs campagnes de communication. Ce mécanisme permettrait de soutenir financièrement la presse tout en assurant une diffusion crédible et de proximité des messages publics.

Ce modèle pourrait être renforcé par des incitations fiscales en faveur des établissements qui participent activement au financement des médias. Une orientation déjà évoquée dans le précédent dossier consacré aux enjeux du numérique, du gaming et des médias, où la nécessité de créer une synergie entre communication publique et indépendance économique de la presse avait été soulignée.

Digital et publicité : sortir de la logique purement algorithmique

Il est également important de repenser les critères d’évaluation des supports médiatiques en ce qui concerne le digital. La tendance actuelle à se baser presque exclusivement sur le nombre de vues ou de clics favorise parfois des contenus de faible qualité, produits uniquement pour attirer l’attention, sans réelle valeur informative ni intérêt pour le public. Cette logique quantitative risque d’éclipser des médias crédibles, rigoureux et présents sur le terrain, qui assument pleinement leur rôle d’information, d’analyse et de service public. Le nombre de vues ne peut à lui seul être une référence. La crédibilité, la qualité éditoriale et l’ancrage dans la réalité du pays doivent aussi compter dans les choix publicitaires, en particulier de la part des institutions.

Appel à l’unité et à une réforme profonde du secteur

Lors de la conférence organisée par la FMEJ, plusieurs personnalités ont pris la parole pour souligner la nécessité d’une réforme profonde du secteur de la presse. Parmi eux, Mohammed Drissi Alami Machichi, ancien ministre de la Justice, a mis en garde contre les dérives liées à la digitalisation et à l’intelligence artificielle, appelant à une réforme juridique concertée pour préserver l’intégrité de l’information. Mustapha El Khalfi, ancien ministre de la Communication, a plaidé pour une refonte du modèle de soutien public à la presse, incluant des exonérations fiscales pour faciliter la transition numérique. Mohamed Nabil Benabdallah, également ancien ministre de la Communication, a insisté sur l’importance d’une presse nationale forte pour accompagner le processus démocratique, tout en déplorant l’inefficacité de la commission provisoire actuelle. Il a souligné l’urgence d’un appel à l’unité et d’une gouvernance claire du secteur.

7 milliards de dirhams vers les plateformes étrangères : quel avenir pour les médias locaux ?

Un autre point d’alerte soulevé lors de la conférence concerne l’hémorragie des budgets publicitaires nationaux. Il a été rappelé que plus de 7 milliards de dirhams partent chaque année en dehors du Maroc, captés par les grandes plateformes internationales comme Facebook, YouTube et Google. Une perte de valeur considérable pour l’écosystème médiatique marocain, alors même que les acteurs locaux se battent pour survivre.

Un modèle à repenser, de la survie à la transformation

Les éditeurs ont plaidé pour une réorientation stratégique du soutien public, avec des critères d’attribution plus inclusifs, et un recentrage sur l’investissement. La transition numérique, la création de formats innovants, l’amélioration des outils de production et la formation des équipes doivent devenir les priorités.

Comme l’a exprimé Mustapha Amdjar, directeur de la communication au ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, il est temps de développer une approche fondée sur l’innovation, de revoir la gouvernance du marché publicitaire et de permettre aux médias d’accéder à des financements adaptés.

Un rôle stratégique à reconnaître pleinement

Enfin, la conférence a rappelé que la presse n’est pas une simple activité commerciale. Elle est un vecteur de débat démocratique, un outil de pédagogie nationale et un acteur de confiance dans le dialogue entre institutions et citoyens. Dans un Maroc en transformation, engagé dans des réformes structurelles majeures, les médias doivent être considérés comme des partenaires stratégiques.

Mais cette ambition ne peut se concrétiser sans une politique publique cohérente, inclusive et tournée vers l’avenir. Il ne s’agit plus seulement de sauver des entreprises fragiles, mais de permettre à une presse nationale forte, diverse et indépendante de jouer pleinement son rôle dans l’édification d’un Maroc moderne et démocratique.


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