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Pharmacie marocaine : Une troisième voie vers la souveraineté sanitaire

Par Hamza Abdelouaret


Ni simple importateur, ni entièrement autarcique, le Maroc trace sa propre route dans l’industrie pharmaceutique. À travers un modèle hybride mêlant innovation locale, investissements ciblés et ambitions africaines, le Royaume opère une montée en puissance stratégique pour consolider sa souveraineté sanitaire. Cette « troisième voie » s’impose aujourd’hui comme un levier crucial de développement économique, mais aussi comme un outil géopolitique, dans un contexte post-pandémique où l’accès aux médicaments est devenu un enjeu de sécurité nationale.

Un secteur stratégique en pleine mutation

L’industrie pharmaceutique marocaine, forte de plus de 60 ans d’existence, représente aujourd’hui l’un des secteurs industriels les plus matures du Royaume. Elle couvre près de 80 % des besoins en médicaments du marché national, un taux remarquable au sein du continent africain. Ce tissu industriel dense s’appuie sur 49 unités de production agréées, plus de 300 spécialités génériques fabriquées localement, et un réseau de près de 12 000 pharmacies d’officine.

Avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 15 milliards de dirhams, soit environ 1,5 % du PIB national, et près de 50 000 emplois directs et indirects, la pharmacie marocaine s’est imposée comme un pilier de la politique industrielle et sanitaire du pays. Des acteurs historiques comme Laprophan, Sothema, Pharma 5 ou encore Cooper Pharma cohabitent avec les filiales de grandes multinationales telles que Sanofi, Pfizer, GSK ou Roche, dans un équilibre entre souveraineté et ouverture.

Une ambition de hub régional

Le Maroc ne se contente plus de produire pour son marché intérieur. Il ambitionne désormais de devenir un véritable hub pharmaceutique pour l’Afrique. Déjà, plus de 45 pays reçoivent des exportations marocaines, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale. Pharma 5 développe une nouvelle usine en Côte d’Ivoire, tandis que Cooper Pharma projette des unités au Rwanda et au Vietnam. L’objectif annoncé : porter les exportations à 40 % voire 70 % du chiffre d’affaires sectoriel dans les prochaines années.

Une vocation exportatrice affirmée

Alors que la pandémie a révélé les fragilités des chaînes d’approvisionnement mondiales, le Maroc a renforcé son positionnement comme fournisseur de confiance dans l’espace africain et méditerranéen. Les laboratoires nationaux multiplient les investissements pour développer des plateformes industrielles capables de répondre aux standards internationaux, avec des sites certifiés ISO et respectant les bonnes pratiques de fabrication (BPF).

Pharma 5, par exemple, a franchi un cap stratégique avec la production du SSB 400, premier générique marocain du sofosbuvir, utilisé contre l’hépatite C. Ce traitement, autrefois inabordable, est aujourd’hui accessible dans plusieurs pays africains grâce à ce médicament « made in Morocco ».

Autre symbole de cette ambition régionale : la présence croissante du Maroc sur les marchés d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et même du Moyen-Orient. Avec une diplomatie économique soutenue, les laboratoires marocains bénéficient d’accords de reconnaissance mutuelle, de facilités logistiques, et de la dynamique des accords de libre-échange en Afrique.

L’innovation comme moteur de compétitivité

Pour garantir sa compétitivité face aux géants asiatiques ou européens, l’industrie pharmaceutique marocaine mise désormais sur l’innovation biotechnologique, la propriété intellectuelle et la recherche appliquée. Certains laboratoires comme Laprophan détiennent déjà des brevets internationaux, à l’image de l’Ixor, un médicament anti-reflux qui a reçu une distinction au Salon de l’innovation de Genève.

Les efforts de modernisation sont soutenus par des investissements massifs : près de 800 millions de dirhams par an sont injectés dans la modernisation des équipements, la recherche-développement, la formation des ressources humaines et les démarches qualité.

Cette dynamique s’appuie aussi sur les synergies avec les universités, les centres de recherche et les nouvelles structures de biotechnologie, notamment à Benguerir et à Rabat, qui ambitionnent de faire du Maroc un acteur de la médecine du futur, y compris en matière de production de vaccins à ARN messager.

Régulation, normes et compétitivité : les défis d’un secteur en transition

Malgré ses atouts, l’industrie pharmaceutique marocaine fait face à plusieurs défis structurels qui freinent son envol. Le premier concerne la pression concurrentielle, notamment des producteurs asiatiques (Inde, Chine), capables de proposer des médicaments à des prix très bas grâce à leurs économies d’échelle. Pour maintenir sa compétitivité, le Maroc doit impérativement monter en gamme et gagner en efficacité logistique et technologique.

La course aux certifications internationales

L’accès à de nouveaux marchés, notamment européens, passe par l’obtention de certifications strictes. Le Maroc s’est fixé comme objectif l’obtention du niveau ML3 (Maturity Level 3) de l’OMS, qui constitue aujourd’hui le standard mondial pour les systèmes de régulation des médicaments. À ce jour, seuls quelques pays africains, comme le Ghana et l’Afrique du Sud, ont atteint ce niveau.

L’adoption de ce référentiel permettrait au Maroc :

  • d’accélérer l’homologation de ses médicaments sur les marchés étrangers,
  • de renforcer la confiance des partenaires internationaux,
  • et d’attirer davantage d’investissements dans la sous-traitance pharmaceutique.

Réformes législatives attendues

Le secteur est régi par la loi 17-04, qui fixe les règles en matière de production, distribution et contrôle des médicaments. Si ce cadre a permis une croissance encadrée, il montre aujourd’hui ses limites face aux exigences de réactivité, d’innovation et de digitalisation. Des réformes sont à l’étude pour :

  • simplifier les procédures d’enregistrement,
  • réduire les délais d’autorisation de mise sur le marché (AMM),
  • et renforcer les incitations fiscales à la R&D.

Dans ce contexte, la coordination entre le ministère de la Santé, le ministère de l’Industrie, l’AMIP (Association marocaine de l’industrie pharmaceutique) et les autres parties prenantes devient cruciale pour bâtir un cadre plus agile et attractif.

Vers une souveraineté sanitaire régionale : les prochaines étapes

Le Maroc est à un tournant décisif. L’ambition de faire de l’industrie pharmaceutique un pilier de souveraineté sanitaire et de rayonnement continental repose sur plusieurs leviers stratégiques, qui, une fois activés, pourraient positionner le Royaume parmi les hubs de production les plus avancés au sud de la Méditerranée.

Saisir l’opportunité continentale

Grâce à sa position géographique, ses infrastructures logistiques et son réseau diplomatique actif, le Maroc est bien placé pour répondre à la demande croissante de médicaments en Afrique, un marché qui devrait doubler d’ici 2030 selon l’OMS. En misant sur la co-délocalisation, la production partagée, et les partenariats Sud-Sud, les laboratoires marocains peuvent proposer des modèles gagnant-gagnant à leurs homologues africains.

Encourager l’investissement et l’innovation

Pour consolider cette dynamique, plusieurs recommandations sont formulées par les professionnels :

  • Accélérer la mise en place d’un fonds sectoriel dédié à l’innovation pharmaceutique, soutenu par l’État et les banques publiques.
  • Créer un guichet unique pour les autorisations réglementaires, les aides à l’export et les incitations fiscales.
  • Encourager les partenariats public-privé, en particulier pour le développement de biotechnologies, de médicaments biologiques et de dispositifs médicaux de nouvelle génération.

Former les talents de demain

Le développement industriel ne peut se faire sans un capital humain qualifié et compétitif. Plusieurs écoles d’ingénieurs, facultés de pharmacie et centres de formation s’impliquent déjà dans la montée en compétence des ressources humaines du secteur. Mais des efforts restent nécessaires pour aligner l’offre de formation avec les nouvelles exigences technologiques et réglementaires.

 

De l’usine à la stratégie continentale, de la molécule à la diplomatie économique, le Maroc est en train de redéfinir sa place dans le paysage pharmaceutique mondial. Sans prétendre à l’autosuffisance totale, il bâtit une « troisième voie » qui conjugue production locale de qualité, ambition exportatrice et innovation technologique. Dans un monde en quête de résilience, cette trajectoire pourrait bien inspirer d’autres pays émergents.


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