OCP–ENGIE : Une alliance verte qui rebat les cartes de la souveraineté énergétique

LA VÉRITÉ
Scellé à Rabat sous l’égide du Roi Mohammed VI et du président Emmanuel Macron, le partenariat entre le Groupe OCP et le géant français de l’énergie ENGIE marque un tournant stratégique dans la reconfiguration industrielle et énergétique du Maroc. Officiellement structuré dans le cadre d’un accord de développement conjoint signé le 28 octobre 2024, ce projet ne se limite pas à une coopération bilatérale classique. Il s’agit d’un engagement pluriannuel adossé à une vision industrielle globale, combinant innovation, décarbonation, autonomie hydrique et montée en puissance dans la chaîne de valeur de l’hydrogène vert. Pour OCP, cette alliance répond à une double exigence : sécuriser sa transition vers une industrie bas-carbone tout en consolidant sa souveraineté énergétique à travers un modèle intégré, localisé et exportable.
L’un des volets les plus emblématiques de cette collaboration concerne la production d’ammoniac vert, pierre angulaire de la chimie de demain. Le groupe marocain entend ainsi substituer progressivement son approvisionnement en ammoniac importé par une production locale, à base d’hydrogène vert généré à partir d’énergies renouvelables. Des études de faisabilité sont déjà en cours pour élargir le spectre de cette production à d’autres dérivés comme le méthanol de synthèse ou les carburants durables pour l’aviation, comme l’e-SAF. Ce positionnement permettrait non seulement de réduire considérablement l’empreinte carbone de la filière engrais, mais également de placer le Maroc sur la carte mondiale des fournisseurs de carburants propres, dans un contexte où la décarbonation du transport aérien devient une priorité planétaire.
Parallèlement, la question de l’autonomie hydrique, cruciale pour un acteur industriel aussi énergivore et hydro-intensif qu’OCP, fait l’objet d’un traitement ambitieux. Le partenariat prévoit la mise en place de capacités de dessalement d’eau de mer destinées à l’usage agricole, avec une capacité totale projetée à 560 millions de mètres cubes d’ici 2027. Cette approche permettrait à OCP de libérer la ressource hydrique douce pour d’autres usages prioritaires, tout en assurant la sécurité d’approvisionnement pour ses unités situées dans les zones arides ou en stress hydrique permanent. Le dessalement, couplé à des énergies renouvelables, s’inscrit dans une logique de boucle vertueuse : l’eau produite n’émet pas de gaz à effet de serre, et sa production n’épuise pas les nappes phréatiques.
En matière énergétique, le partenariat se structure autour de la création d’un réseau électrique interne, basé sur des capacités renouvelables intégrées. Ce réseau permettra à OCP de disposer d’une alimentation énergétique flexible et résiliente, tout en réduisant sa dépendance aux sources fossiles. L’objectif est clair : atteindre un mix énergétique 100 % renouvelable dès 2027, une cible que le groupe affirme pouvoir atteindre grâce à cette coopération avec ENGIE. Des infrastructures de stockage de l’énergie, notamment via des batteries de grande capacité ou d’autres technologies de régulation, seront également déployées pour garantir la continuité de l’approvisionnement sur les sites industriels.
Au-delà de l’infrastructure, OCP et ENGIE misent aussi sur un programme de recherche et développement d’envergure, en lien avec les écosystèmes académiques marocains et internationaux, notamment via l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P). Ce pilier de l’accord vise à renforcer l’innovation technologique au sein des projets, en intégrant des solutions disruptives dans le traitement de l’eau, la captation du CO₂, l’optimisation énergétique et les matériaux durables. Cette approche traduit la volonté de faire de ce partenariat un modèle évolutif, capable de répondre aux exigences futures des marchés européens, africains et internationaux.
L’ensemble de ce dispositif s’inscrit dans la feuille de route verte d’OCP, dotée d’un budget colossal de 13 milliards de dollars sur la période 2023-2027. Ce plan d’investissement comprend à la fois des projets d’énergie propre, de dessalement, de traitement des effluents, et de digitalisation. À ce titre, le groupe a récemment sécurisé un financement vert de 365 millions d’euros auprès de l’agence italienne SACE, un signal fort sur la crédibilité internationale de sa stratégie de développement durable. Ces financements verts permettront d’adosser le développement industriel à des standards stricts de durabilité et de transparence.