Moscou desserre l’étau sur le Sahara : Une inflexion conditionnelle qui change l’équation
Par Mohammed Taoufiq Bennani
Depuis Moscou, Sergueï Lavrov a ouvert une porte que la diplomatie marocaine s’efforçait d’entrevoir depuis des années. Les 13 et 14 octobre 2025, le chef de la diplomatie russe a déclaré que la Russie est prête à soutenir une solution au Sahara qui convienne à toutes les parties, tout en rappelant que l’initiative marocaine d’autonomie s’inscrit dans le cadre des options reconnues par les Nations unies. Cette formulation n’est pas anodine. Elle marque un glissement subtil mais significatif de Moscou vers l’acceptation du plan marocain dans le périmètre onusien, tout en posant une ligne rouge claire. Rien ne sera validé sans accord des parties concernées et sous l’égide du Conseil de sécurité. Autrement dit, la Russie ne renie pas son approche légaliste ni sa lecture du droit international, mais elle admet désormais que l’autonomie peut être une forme d’autodétermination, si elle résulte d’un processus accepté et encadré.
Cette évolution intervient à un moment clé. Le Conseil de sécurité s’apprête à renouveler le mandat de la MINURSO, et la Russie, membre permanent, s’était jusqu’ici réfugiée dans une neutralité prudente, souvent marquée par l’abstention. En reconnaissant publiquement que le plan d’autonomie marocain peut servir de base à une solution politique, Moscou envoie un signal fort aux capitales qui soutiennent déjà l’initiative, considérée comme crédible, réaliste et pragmatique. Après le ralliement officiel du Royaume-Uni en juin, la prise de position russe renforce la cohérence d’un front diplomatique élargi autour du Maroc et déplace la charge de la preuve sur ses opposants.
Dans les médias marocains, cette prise de parole a suscité plusieurs lectures. Certains y voient un basculement historique et parlent d’un soutien implicite de Moscou au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine. D’autres soulignent le caractère conditionnel des propos et rappellent que la Russie reste attachée à l’idée d’un accord négocié. Ces deux visions traduisent l’ampleur du moment. D’un côté, la portée symbolique d’un acteur doté du droit de veto qui reconsidère sa position. De l’autre, la prudence d’une diplomatie qui refuse de trancher unilatéralement dans un dossier aussi sensible. L’un et l’autre éclairent la portée réelle de cette inflexion : un mouvement discret, mais stratégique.
Cette évolution s’inscrit aussi dans un contexte géopolitique bien plus large. Depuis plusieurs semaines, la Russie subit une pression croissante des États-Unis, qui resserrent les sanctions énergétiques et financières. Washington demande à ses partenaires, comme l’Inde et le Japon, de réduire voire de cesser leurs importations de pétrole et de gaz russes, ce qui assèche progressivement les devises du Kremlin. L’économie russe, tournée désormais vers l’industrie militaire, montre ses limites. Dans ce contexte d’étouffement progressif, Moscou cherche à préserver des relais économiques et diplomatiques sur d’autres continents. Le Maroc, qui a voté pour le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine sans rejoindre le train des sanctions, offre un point d’équilibre précieux. En maintenant ses échanges économiques avec la Russie tout en restant proche de Washington, le Royaume devient un espace de dialogue crédible et un relais potentiel vers l’Afrique de l’Ouest. Cette double posture lui confère une influence singulière, qui n’a sans doute pas échappé à Moscou.
Sur le fond, ce qui change n’est pas la lettre de la position russe, mais l’esprit politique qui l’anime. En acceptant d’inscrire l’autonomie dans le champ de l’autodétermination, Moscou desserre l’étau rhétorique qui enfermait depuis des décennies le débat dans une opposition binaire entre référendum et statu quo. Cette ouverture redonne souffle à la voie onusienne, là où les mots ont toujours pesé plus que les déclarations. Elle crée une nouvelle marge pour un compromis durable, où le plan marocain devient la référence centrale de discussion et non une simple option parmi d’autres.
De son côté, Rabat poursuit une stratégie fondée sur les faits accomplis pacifiques. L’ouverture de consulats dans les provinces du Sud, l’essor d’investissements structurants, la mise en cohérence des cadres juridiques et la consolidation d’alliances internationales ont progressivement ancré la marocanité du Sahara dans le réel. L’inflexion russe vient donner du relief à cette dynamique, non parce qu’elle scelle le dossier, mais parce qu’elle modifie l’équilibre des perceptions. Elle renforce la légitimité du plan d’autonomie et isole davantage les positions figées.
Il faut toutefois garder la mesure. La Russie entretient une relation stratégique forte avec Alger et veille à préserver sa liberté de manœuvre. Ses déclarations demeurent encadrées par le langage du droit international et par le principe de non-ingérence. Il serait donc prématuré d’y voir une reconnaissance pleine et entière du plan marocain. Mais c’est bien un signal politique de poids. En reconnaissant que l’autonomie peut incarner l’autodétermination si elle est négociée et encadrée, Moscou modifie le champ du possible et déplace les lignes diplomatiques autour d’un dossier que Rabat gère avec constance et méthode.
Cette inflexion, même prudente, a une portée durable. Elle confirme que le Maroc a su construire un rapport de force apaisé, fondé sur la légitimité, la stabilité et la cohérence de sa vision. Le langage russe a bougé, et ce mouvement, si minime soit-il, traduit un changement d’époque. L’enjeu, désormais, sera de transformer cette ouverture en appui concret lors des prochaines délibérations onusiennes. C’est dans cet espace, entre réalisme diplomatique et souveraineté nationale, que se joue la prochaine étape du dossier du Sahara.
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