L’hypocrisie est l’hommage que la vérité paie à l’erreur
Est-ce qu’on peut arriver au Paradis une demi-heure avant que le diable sache qu’on est mort ? Certains le peuvent. D’autres sont annoncés aux Enfers des millénaires avant leur existence. Paraît-il, c’est une question d’arithmétique. Et d’algorithme sur fond d’équation à zéro degré. Quand mon ami politicien me fit part de sa volonté de faire partie de ceux qui arrivaient au paradis avant les autres, il avait une rougeur au visage. J’ai alors pensé que l’homme est le seul animal qui rougisse ; c’est d’ailleurs le seul animal qui ait à rougir de quelque chose. De but en blanc, il me dit comme une grande révélation que dans tous les asiles, il est tant de fous possédés par tant de certitudes ! Lui en avait par milliers, des convictions, et il tenait, dans le temps, à le faire savoir. Aujourd’hui, comme il est sur la touche, il se le dit, et ameute dans l’entourage pour faire en sorte que son cirque prenne.
Cette rencontre fortuite, il faut encore le signaler, est riche d’enseignements pour moi surtout, car mon acolyte d’un soir, lui, pense tout savoir sur le monde et sur les êtres qui le remplissent de leurs convictions. Ce que je me dis en écoutant cet homme revenir sur ses ratages déguisés en grands triomphes, c’est qu’en politique comme dans l’amour, il y a beaucoup de non-dits. C’est à coup sûr ce qui donne de la longévité aux politiciens et de l’illusion à l’amour éternel. Les adeptes du tout véritable et véridique sont très vite renvoyés aux classes primaires de l’apprentissage du dur travail sur soi pour accepter que le monde n’est qu’un essai. Essai sans but, et tout juste un élan salvateur quand il peut te pousser vers des limites dépassables ; élan castrateur quand il te révèle l’inanité de tout mouvement. En politique, il faut donc appartenir à une secte que l’on nommerait : le conglomérat de la négation de soi pour le bien des autres.
En somme, un homme politique est avant tout un humaniste qui se met au service de ses semblables, vous et moi, les pauvres hères incapables d’y voir clair et qui ont besoin de la clarté perçante d’un tiers pour mieux vivre. La politique, c’est la délégation de ta vie pour que d’autres te disent ce qu’il faut faire et quand il faut le faire, sous quelle couleur il faut s’afficher, et surtout quels sont les doctes principes de la vie par procuration. Pour le sage, il y a deux sortes de savants : les spécialistes, qui connaissent tout sur rien, et les philosophes, qui ne connaissent rien sur tout. Et il y a une catégorie hybride des politiciens qui disent qu’ils ont peur que nous ne devions rendre le monde honnête avant de pouvoir dire honnêtement à nos enfants que l’honnêteté est la meilleure politique. Bref, l’unique signification intime de la politique, c’est le fait qu’elle n’ait aucune intime signification. Ceux qui en sont les détenteurs ont compris depuis des époques très reculées que pour mieux briller il faut se positionner dans le champ de la lumière et surtout ne jamais se précipiter vers le clair pour mieux approcher l’essence des êtres. Pessoa disait au début du siècle, «Malheur à toi et à tous ceux qui passent leur existence à vouloir inventer la machine à faire du bonheur ». Ceci voudrait-il dire que le bonheur n’existe pas ? Probable. Mais je pense que cela signifie avant tout que la recherche, les cheminements qui guident les pas de tous sur terre, sont plus importants que les buts destinés à être atteints. « Tout le mal du monde vient de ce que nous nous tracassons les uns des autres, soit pour faire le bien, soit pour faire le mal, notre âme, le ciel et la terre nous suffisent. Vouloir plus, c’est perdre cela, et nous vouer au malheur», disait toujours le même Fernando sur un chemin menant vers un bar lisbonnais.
En politique, il faut donc appartenir à une secte que l’on nommerait : le conglomérat de la négation de soi pour le bien des autres. En somme, un homme politique est avant tout un huma- niste qui se met au service de ses semblables, vous et moi, les pauvres hères incapables d’y voir clair et qui ont besoin de la clarté perçante d’un tiers pour mieux vivre. La politique, c’est la délégation de ta vie pour que d’autres te disent ce qu’il faut faire et quand il faut le faire, sous quelle couleur il faut s’afficher, et surtout quels sont les doctes principes de la vie par procuration.
Mais est-ce que l’animal politique qu’est devenu l’homme aujourd’hui est compatible avec l’idée du début du bonheur ? En termes de réponses, mon ami d’un soir propose que le pire pêché envers nos semblables, ce n’est pas de les haïr, mais de les traiter avec indifférence ; c’est là l’essence de l’inhumanité. Il a donc réfléchi à la question, à moins que cette saillie ne soit le fruit de l’ivresse ! Pour ceux qui ont lu le dernier épisode de ces paysages humains sous le titre “L’or et l’argile se valent” ont dû faire connaissance avec ce politicien mis sur la touche qui règle quelques comptes en attendant Dieu. Là, nous continuons sur d’autres sentes qu’il ne voulait jamais aborder. Commençons par l’action. “Celui qui peut, agit. Celui qui ne peut pas, enseigne”. C’est Bernard Shaw qui avait écrit cela. Et il poursuit : “Si tu as une pomme, que j’ai une pomme, et que l’on échange nos pommes, nous aurons chacun une pomme. Mais si tu as une idée, que j’ai une idée et que l’on échange nos idées, nous aurons chacun deux idées.” Je ne sais pas pourquoi avec mon ami, quoique j’aie pu échanger comme pensées, il m’a semblé ancré dans les siennes. Avec cette pointe de pessimisme effarant, qui est, dit-on, l’apanage de ceux qui ont vécu trop de déceptions.
Et là je me dis que le pessimiste est un homme qui en veut à tous les autres hommes parce qu’il les trouve aussi dégoûtants que lui ! Mon ami dit qu’il possède ce don d’observation appelé vulgairement cynisme par ceux qui en sont dépourvus. C’est ce qui lui fait dire, entre deux rictus, qu’il est dangereux d’être sincère, à moins d’être également stupide. Moi je pense que l’alcool est un anesthésique qui permet de supporter l’opération de la vie. Et je me suis vu en train d’imaginer ce type aux tempes grisonnantes sans l’appui du lubrifiant social qu’il ingurgite. Il serait un fou à lier, un vagabond délabré ou encore un mendiant, parce qu’il m’a paru très enclin à la commisération d’autrui. Il appelle de tous ses vœux le regard, l’intérêt, la pitié. Il voudrait que j’aie pitié de lui, que je compatisse à son chagrin qu’il ne noie plus que sporadiquement dans le creux de son verre, mais il doit savoir que l’être assis devant lui n’a pas les outils nécessaires pour juger la variété humaine.
Ceci voudrait-il dire que le bonheur n’existe pas ? Probable. Mais je pense que cela signifie avant tout que la recherche, les cheminements qui guident les pas de tous sur terre, sont plus importants que les buts destinés à être atteints. « Tout le mal du monde vient de ce que nous nous tracassons les uns des autres, soit pour faire le bien, soit pour faire le mal, notre âme, le ciel et la terre nous suffisent.
Devant l’impossibilité de faire naître en moi le sens humain de la délectation morose, il me dit aussi sèchement que possible que l’homme raisonnable s’adapte au monde ; l’homme déraisonnable s’obstine à essayer d’adapter le monde à lui-même. J’en déduis que la déraison en lui a pris beaucoup de terrain sur le bon sens. Mais il enchaîne que tout progrès dépend de l’homme déraisonnable. Et la liberté de soi ? L’être en sa liberté ? Il rétorque avec beaucoup d’ostentation que liberté implique responsabilité. C’est là pourquoi la plupart des hommes la redoutent. Et c’est ce qu’il a fait pendant au moins trente longues années. Il a reculé en effaçant ses propres empreintes pour tenter l’amnésie volontaire. Sauf que sur le terrain de la déraison, la mémoire est récalcitrante. Je lui fais savoir qu’il est toujours préférable de ne pas faire aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent. Il se peut que leurs goûts ne soient pas les mêmes. Et dans ce risque, il y a gros à perdre. Il y a surtout la vérité aux bords délavés qui peut nous étreindre à l’improviste.
Il rit à gorge déployée : toutes les grandes vérités commencent par être des blasphèmes, mon ami. Je vérifie alors qu’un homme se décrit toujours inconsciemment lui-même quand il décrit quelqu’un d’autre. Tout comme cet idéologue qui s’est donné pour tâche de rendre l’homme meilleur que l’humanité. On l’a appelé le révolutionnaire. Je partage cette idée avec mon hôte du soir. Il rit de plus belle : un révolutionnaire, c’est celui qui désire mettre au rancart l’ordre social existant, afin d’en essayer un autre. Ce n’est pas ce qu’il a lui-même tenté et son affaire a tourné court ? Il se tait. Et en guise de conclusion, je me dis que ce qu’il faut, c’est qu’on soit naturel et calme dans le bonheur comme dans le malheur, c’est sentir comme on regarde, penser comme l’on marche, et, à l’article de la mort, se souvenir que le jour meurt, que le couchant est beau, et belle la nuit qui demeure…