« Les Hommes de la nuit »de Mustapha Guiliz aux Orion
ERRERHAOUI Abdelaziz, Professeur agrégé
Les Hommes de la nuit de l’écrivain Mustapha Guiliz, paru aux éditions Orion, est un roman qui confirme les choix du thème et du style auxquels le lecteur est habitué depuis son dernier roman Le Monde d’Ibrahim. Avec une différence de taille qui fait que les thèmes gagnent en profondeur et le style en maturité. L’auteur, qui ne s’embarrasse pas d’avouer qu’il écrit peu, mais corrige beaucoup ; il aime aussi raconter des histoires qui plaisent au lecteur. Le métier d’écrivain, que le lecteur sent au fil des pages, consiste à inventer des mondes et à inviter des lecteurs à le suivre dans leurs dédales.
Ce labeur sur sa propre prose qui ne finit jamais, et l’auteur le dit avec une conscience aiguë, ne doit pas porter atteinte à l’âme du texte. C’est la gageure, entre autres, propre à cette invention de l’homme appelée littérature. A l’heure où l’on est préoccupé par cette vague déferlante du dernier concept de la science nommée « intelligence artificielle », la littérature humaniste persiste à comprendre le monde des Don Quichotte et à explorer ses univers complexes qui résistent à tous les algorithmes. C’est parce qu’on n’a pas compris l’intelligence naturelle qu’on nous propose celle qualifiée d’artificielle. Nous sommes épris de généralisations quand chaque page de l’homme de la Manche nous oblige à un exercice de nuances sans fin et de paradoxes assumés. Le personnage éponyme, emblématique de tous les humains, serait-il un fou, un aliéné ? Examinez son discours sur les femmes. La pensée la plus émancipée à leur sujet ne peut atteindre le niveau élevé de l’exigence morale et du respect telle qu’elle est affichée par le héros de Cervantès, dans sa reconnaissance aussi des droits et de l’amour inconditionnel que l’on doit leur offrir. Dans Les Hommes de la nuit, on reste loin du modèle de ce héros. La femme s’arroge ses propres droits en se servant de l’homme. Leur relation n’étant pas encore mature pour emprunter la voix de la reconnaissance réciproque et assumée. L’auteur est profondément féministe. Les personnages féminins dans Les Hommes de la nuit Ghalia, Saida et Meryem en donnent l’exemple. La conclusion de ces trois destins différents dans leurs trames mais unique dans leur sanction négative, montre combien il ne faut pas se leurrer sur la nécessité d’un éveil des consciences et même sur l’exigence d’accomplir une promotion des valeurs. L’ennemi de la femme désire sa faillite et oublie son coût onéreux pour la société. Ses amis les hommes travaillent pour sa gloire qui passe par son émancipation et par l’engagement de tous sur le chemin à faire main dans la main.
Le genre roman, comme fiction qui fait face au réel, ne cesse de montrer comment les combats peuvent être menés et gagnés. Cette bataille à laquelle tous les citoyens sont appelés, serait l’unique garant d’une paix où chacun retrouvera sa liberté. Celle-ci représente l’horizon auquel tout le monde aspire mais que personne ou presque n’en fait grand cas. La paresse comme la fatigue morale installent un climat délétère peu favorable à l’esprit d’entente cordiale. Seule prévaut la logique de la discorde où l’un cherche à l’emporte sur l’autre, et jamais sur soi. L’héroïsme n’est pas toujours à la portée ; il requiert exigence et ténacité sans concession. Il est réservé aux athlètes du corps et de l’âme.
Les batailles dans Les Hommes de la nuit sont légion. On sait qu’elles vont être perdues. Les itinéraires mènent à l’échec par des voies insoupçonnées. Le bilan est désastreux. On perd en chemin les lumignons qui se dissipent—parfois avec les meilleures intentions— et finissent par tout installer dans la nuit sans étoiles, sans lune et sans la promesse de l’aube. Viol, violence et inceste assoient le sens du texte ; ils détruisent aussi des vies à jamais pour faire des hommes des ombres qui ne sont que souffrance. Si réussite il y a, on ne fait que réussir son échec, ce qui devient un passage obligé, un destin et une fatalité.
La nuit dans ce roman est absence des réalisations. Elle est aussi mystère et secret ; elle est le déclic qui s’ouvre sur le gouffre de l’infini. Au trouble des personnages ambiants, il y a le journal de l’anti héros, Jalal, un personnage qui se signale par une attitude cynique et mortelle. Son expression enjouée et imprécise crée un climat favorable à la poésie. La nuit poétique fait le lit des rêves qui obnubilent l’esprit, rêves du jour, rêves de la nuit, rêve des rues étroites, rêves de lumière avortée, rêves des rêves.
Suivez les dernières actualités de Laverite sur Google news