[ after header ] [ Mobile ]

[ after header ] [ Mobile ]

Le travail invisible des femmes marocaines : Une richesse non reconnue

Par Sanae El Amrani


À l’heure où le Maroc fait face à de profondes mutations économiques et sociales, une réalité persiste dans l’ombre : des millions de femmes contribuent chaque jour au fonctionnement de la société par un travail essentiel, mais non rémunéré.

Cuisine, ménage, garde d’enfants, soins aux personnes âgées… autant de tâches accomplies dans le silence du foyer, sans contrat, ni salaire, ni reconnaissance. Ce « travail invisible » constitue pourtant une véritable richesse économique, ignorée des indicateurs classiques.

Une contribution aussi précieuse qu’invisible

Selon les dernières estimations du Haut-Commissariat au Plan (HCP), la valeur du travail domestique non rémunéré atteignait 285 milliards de dirhams en 2012, soit près de 35 % du PIB. En actualisant cette estimation à partir du salaire horaire moyen, des experts du Policy Center for the New South l’évaluent aujourd’hui à plus de 513 milliards de dirhams, ce qui représenterait 62 % du PIB marocain. Une contribution économique majeure, qui ne figure pourtant nulle part dans les budgets publics ni les statistiques officielles.

Une charge genrée, une inégalité flagrante

Les femmes marocaines consacrent en moyenne 5 heures par jour aux tâches ménagères et familiales, contre 43 minutes pour les hommes, selon une étude du Policy Center publiée en avril 2025. Cela équivaut à un temps plein sans rétribution, sans droit à la retraite ni protection sociale. En réalité, près de 90 % du travail domestique non rémunéré est assuré par des femmes, ce qui révèle un profond déséquilibre dans la répartition des responsabilités familiales.

Un facteur d’exclusion du marché du travail

Cette charge domestique invisible constitue l’un des freins majeurs à la participation des femmes à la vie économique. En 2024, le taux d’activité féminine au Maroc ne dépassait pas 19,1 %, un des plus bas au monde. Plus révélateur encore, 81,9 % des femmes mariées sont inactives, contre seulement 3,1 % des hommes mariés, selon les données du HCP. En cause : la pression sociale, le manque de crèches, la précarité du transport, mais surtout l’inégale répartition des tâches familiales.

Un vide juridique persistant

Malgré quelques évolutions dans le Code du travail, le travail domestique non rémunéré n’est toujours pas reconnu juridiquement. En cas de divorce, de veuvage ou de séparation, une femme ayant passé vingt ans à gérer le foyer peut se retrouver sans ressources. Plusieurs associations féminines plaident pour l’introduction d’une indemnité compensatoire fondée sur les années consacrées au travail familial. Des amendements ont été évoqués dans les discussions sur la réforme du Code de la famille, sans aboutir pour l’instant.

Vers une reconnaissance sociale et politique

Ces constats alimentent un débat croissant au Maroc, non seulement dans les cercles militants mais aussi au sein des institutions. Des campagnes de sensibilisation portées par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et diverses associations féminines appellent à reconnaître ce travail invisible comme une véritable activité économique. Des propositions commencent à émerger pour l’intégrer dans les comptes nationaux et lui accorder une place dans les dispositifs législatifs relatifs au droit de la famille, à l’héritage ou encore à la retraite.

Une proposition de réforme, encore à l’étude au Parlement, suggère notamment de comptabiliser les années de travail au foyer dans les calculs de compensation post-divorce. D’autres pistes évoquent une fiscalité familiale réformée ou un système de points sociaux pour les femmes au foyer, inspiré de modèles nordiques.


À lire aussi
commentaires
Loading...
[ Footer Ads ] [ Desktop ]

[ Footer Ads ] [ Desktop ]