Le Médiateur sans moyens
Le gouvernement marocain veut réparer le lien brisé entre le citoyen et son administration. Par une circulaire récente adressée à tous les ministres, Aziz Akhannouch exige la désignation d’un interlocuteur permanent dans chaque département, chargé de coopérer avec le Médiateur du Royaume. Sur le papier, la démarche est exemplaire : humaniser la bureaucratie, instaurer l’écoute et l’équité au cœur du service public. Dans la réalité, elle ressemble à un vieux disque rayé : une promesse de réforme répétée depuis plus d’une décennie, sans conséquence visible.
Le Médiateur du Royaume, institution née en 2011 pour succéder au Diwan Al Madhalim, n’a jamais cessé d’être le témoin impuissant des dysfonctionnements administratifs. Ses rapports s’empilent, ses recommandations restent lettre morte, et ses courriers se perdent entre un bureau poussiéreux et un tampon introuvable. Il n’a aucun pouvoir coercitif, aucun moyen d’obliger les administrations à exécuter ses décisions. Son autorité repose sur la bonne volonté des mêmes fonctionnaires dont il est censé corriger les abus. Dans ce théâtre administratif, la médiation tourne souvent à la farce : on ouvre un dossier, on échange des lettres, puis on le clôt pour annoncer qu’il a été “traité”.
La nouveauté annoncée par le Chef du gouvernement n’est donc pas la création d’un dispositif inédit, mais la relance d’une disposition déjà inscrite dans la loi 14-16 relative au Médiateur du Royaume. La circulaire adressée début octobre impose désormais à chaque administration de désigner un interlocuteur permanent chargé de répondre, dans des délais raisonnables, aux correspondances émanant de l’institution. Il s’agit moins d’une réforme que d’un rappel à l’ordre : une tentative de rendre effectif un mécanisme resté trop longtemps théorique. Cette initiative intervient dans un climat de défiance croissante entre citoyens et institutions, où chaque signal d’écoute devient crucial pour restaurer la confiance publique.
Le chef du gouvernement a raison d’imposer un interlocuteur désigné dans chaque ministère. Mais cette mesure n’aura d’effet que si ces interlocuteurs disposent d’une réelle autonomie et de moyens d’action. Sinon, ils deviendront des figurants de plus dans le décor des réformes de façade. Car la vérité, c’est que la plupart des citoyens qui saisissent le Médiateur ne cherchent pas un dialogue, mais une solution. Ils veulent qu’on fasse appliquer la loi, qu’on répare une injustice, qu’on débloque un dossier enterré par l’arbitraire ou la corruption ordinaire.
Car dans la pratique, le Médiateur du Royaume ne dispose d’aucun instrument de contrainte pour imposer ses décisions. Il peut recommander, rappeler la loi, dénoncer un abus ou alerter la hiérarchie administrative, mais il ne peut ni sanctionner, ni ordonner l’exécution d’une mesure. Ce manque de pouvoir, reconnu par l’institution elle-même, réduit souvent la portée de ses interventions.
Au guichet du service public, le citoyen reste encore trop souvent seul face à la lenteur, à l’indifférence et à l’opacité. Une administration moderne ne se mesure pas à la beauté de ses réformes, mais à la simplicité de ses réponses. Car la vraie réforme ne se mesure pas à la signature d’une circulaire, mais à la rigueur de son application sur le terrain. Tant que la médiation ne sera pas dotée de moyens réels, l’État restera prisonnier de sa propre inertie.
Il ne suffit plus d’annoncer des réformes, il faut leur donner du poids. Donner au Médiateur le pouvoir d’imposer ses décisions, d’exiger des sanctions, de protéger le citoyen contre les abus. Sans cela, la médiation restera une musique d’ascenseur dans un bâtiment où rien ne monte jamais.
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