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Le marocain païen

Le dialecte marocain regorge d’expressions disant le fatalisme où l’humain se contente de subir, se voit écraser par des forces invisibles. Il n’est responsable de rien. Il n’assume rien. Il se suffit à la réception, à la victimisation et à la passivité : « le train est parti sans moi », « le temps m’a volé », « le travail m’a épuisé », « la pierre m’a frappé ».

Cette dernière expression limite idiomatique est d’ordre païen ! Quelle facture linguistique et quel courage ! On humanise tout, on attribue aux objets des pouvoirs divins et aux choses une âme suprême. Ça n’existe que chez nous. Au Maroc, on cohabite avec la contradiction et on se complaît dans le paradoxe. Mais c’est cool. Aucune exaspération, aucune gêne. Tout se déroule dans la bonne humeur. On peut être dans tous les dogmes comme on peut embrasser toutes les religions.

Du judaïsme à l’islam en passant par le christianisme, le marocain est bouddhiste, voire même païen. Il est quelque part gnostique. Va comprendre ! Rien à assimiler. l’équilibre est dans l’acrobatie mal faite, l’harmonie est dans la bigarrure. Mais c’est cool. Justement, il ne faut pas tenter la compréhension, ni la logique d’ailleurs. Car nous vivons dans le pays des contradictions logiques, l’absurdité signifiante. Passer toute la semaine scotché au bar à hommes et porter sa djellaba blanche et son tarbouche rouge vendredi pour se rendre à la mosquée, c’est de l’équilibre. Fréquenter une femme voilée et libertine.

Converser autour de la réglions, à table, dans un pub bruyant. Courir derrière le mouton à sacrifier pour la grande fête musulmane et courir au même rythme pour se procurer un beau gâteau de Noël. C’est toujours le même enthousiasme qui motive le marocain. Être de gauche et de droite au même moment. Pêcher tout le temps et lapider celui ou celle qui consomme le même péché. Hilarant ! Incroyable ! Mais vrai.

Le procès des autres se fait dans la lumière du jour. Celui de soi ne se fait jamais. On pèche et on prêche, sans aucun complexe. La police morale nous hante car nous l’exerçons tous en toute sérénités. Aucune culpabilité ! Aucun mea culpa! Mais c’est cool. On sait gérer les contraires. On maîtrise l’art du paradoxe. On est même excellents en schizophrénie. Notre clivage on le vit bien.

Toutes le théories portant du doigt le dédoublement tombent à l’eau. Le marocain est innovateur révolutionnaire là-dessus. Même la jeune génération qui se veut libre et affranchie des carcans de la tradition cède au même archaïsme paradoxal. Un jeune marocain fraîchement diplômé de Centrale ou de polytechnique rentre au bled pour que sa maman lui trouve une jeune mariée qui n’a pas d’antécédents ! Après qu’il a tout vu ailleurs, il se permet de chercher l’immaculée conception. Quelle auto récompense ! L’ego doit être bien nourri. Notre ego est si hypertrophié que nous devenons aveugles, sans repères et sans assises solides. Nous n’avons aucune appartenance politique (vu l’exode politique très en vogue et les alliances imprévisibles), aucun profil du partenaire (vu les couples improbables qui courent les rues), aucun rituel religieux (vu le manage souvent grotesque)…

Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qu’être marocain aujourd’hui ? Eh bien il est là synthèse de tout ça. Il est la figure du syncrétisme où l’amour côtoie la mort, où les obsèques s’organisent avec le sourire joyeux du traiteur, où la mariée porte le voile parce qu’elle s’est mariée ou qu’elle a envie d’incarner la chasteté …

On constate que le marocain lambda pense que la vérité et le mensonge ont le sens et surtout la même valeur. L’échelle de valeurs est très variable chez nous. Tout est léger, rien n’est alertant. Seule la légèreté est urgente. Nous prenons tout a la légère. Certains adages le confirment. Ceux qui se précipitent sont morts, qui veut gagner l’année est encore longue, si tu fais le bien il se retournera contre toi…Plusieurs sentences sont à même de motiver les paresseux, les fainéants et les oisifs.

Le rapport au temps se vit sous le signe de la légèreté aussi : se fixer un rendez-vous et ne jamais y être a l’heure, poser un lapin a quelqu’un et s’en moquer sans aucun sentiment de culpabilité. Notre rapport au monde est différent. Nous sommes d’une métaphysique autre, qui n’existe nulle part. On séjourne dans les frontières. On vit à notre manière. On ne suit aucune spiritualité, on en invente la nôtre, originale et insolite. La morale oscille entre dogmatisme et libertinage, tolérance et racisme. Va comprendre. On n’y comprend que dalle, vraiment que dalle.

Nous voici donc devant une société qui se veut à a fois traditionnelle et moderne, voire même postmoderne. Une société qui change de mues à chaque occasion, à chaque opportunité, afin de répondre aux contingences et aux aléas. Le Maroc d’aujourd’hui est ouvert sur le monde, sur l’Autre et sur lui-même. Mais il demeure complexe et ne sait tirer profit de sa diversité culturelle et linguistique pour se faire un credo, une culture nationale et une identité plurielle, au lieu d’hésiter entre les idéologies et les couleurs.

Le marocain se doit d’être citoyen du monde tout en faisant une véritable introspection à même de lui enseigner des choses sur son parcours, son héritage et son devenir. Nous sommes perdus entre plusieurs paradigmes qui ne cessent d’être variables et incontrôlables. Se forger un être dans le monde pour pouvoir vivre dans ce monde infiniment grand et qui semble infiniment petit grâce à la technologie et au prisme de miroitement que favorise la communication aujourd’hui et ce regard que nous avons sur les quatre coins du globe. Le marocain puisera sa force dans ce qu’il a de plus intrinsèque. Sa raison d’être sera dans cette richesse que présente ses variations et ses vicissitudes que nous considérons peut-être à tort comme une maladie tant que nous le traitons comme un cas. Seul le livre nous changera.

Seule la culture nous élèvera. Seul l’art nous sublimera. Grâce à notre combat contre la bêtise et la médiocrité, nous saurons assumer nos choix, être conscients de ce que nous sommes, être surtout responsables de nos actes et de nos paroles. Austin aurait dit « quand dire, c’est faire » pour faire du mot un acte, une performance, au lieu de jeter la responsabilité. Marocains, nous sommes pluriels, différents et riches par notre présent, notre passé et notre futur. Nous avons, heureusement, un passé riche à bien des égards, qui recèle un patrimoine inestimable et enviable.

Nous sommes héritiers d’une grande civilisation des signes qui disent la maturité et la créativité d’un peuple. Dans ce sens, il est difficile de ne pas penser à la calligraphie chinoise qui traduit les valeurs civilisationnelles de ce pays, et à toutes les autres civilisations sans exception aucune. Nous, les Marocains, nous sommes habiles et doués pour le tatouage que nous avons toujours médités sur les mentons de nos mères et les formes bigarrées contemplées inconsciemment dans le corps du tapis. Cet esprit lucide nous sauvera du prosaïque qui s’empare de nous, par inadvertance, et par oubli de ce que nous sommes. Être doué dans tout ça devra sans conteste nous faire admettre tous les paradoxes dont nous sommes taxés car nous avons le droit à la contradiction, comme l’a revendiqué Baudelaire. Une condition sine qua non apparait pour que ce soit un droit : en être conscient, être dans cette culture civique et citoyenne.


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