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Le grand réaménagement bleu : Une refonte nationale des ressources hydriques et énergétiques, entre mer, désert et justice territoriale

Par Sanae El Amrani


Entre dessalement, transferts interbassins et planification territoriale, le Royaume redéfinit la carte de son eau. Les villes côtières s’alimenteront à la mer pour libérer les barrages au profit du monde rural et de l’agriculture. Une mutation décisive qui redessine la souveraineté nationale.

Après sept années de sécheresse consécutives, la question de l’eau s’impose comme l’un des chantiers d’État les plus structurants du Maroc contemporain. Avec un taux de remplissage moyen des barrages stabilisé autour de 31,6 %, contre 29 % à la même période l’an dernier, le pays s’installe dans une logique de gestion durable où chaque mètre cube devient un choix stratégique.

Cette semaine, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a officialisé le lancement dès décembre du raccordement Bouregreg–Oum Er-Rbia, une infrastructure capable de rééquilibrer durablement les ressources entre le littoral et les plaines agricoles. Ce projet illustre la philosophie du grand réaménagement bleu : connecter les bassins, mutualiser les excédents et protéger les zones rurales.

En parallèle, la montée en puissance du dessalement de l’eau de mer transforme la relation entre l’eau et le territoire. Les régions côtières comme Casablanca, Safi, Agadir ou encore Dakhla se tourneront vers la mer pour garantir leur sécurité hydrique, tandis que les barrages conserveront leurs ressources au service du monde rural, de la souveraineté alimentaire et de l’agriculture irriguée.

Cette nouvelle architecture de l’eau s’accompagne d’une refonte de la gouvernance. Contrats de nappes, planification régionale, entretien du réseau routier et fonds de développement territorial s’articulent désormais autour d’un objectif commun : la stabilité et l’équité entre les territoires.

Le Maroc ne se contente plus d’affronter la sécheresse. Il recompose son territoire à travers l’eau, en inscrivant chaque bassin, chaque route et chaque douar dans une même logique de durabilité et de souveraineté.

L’urgence hydrique, un enjeu de stabilité nationale

Sept années de sécheresse ont profondément marqué le pays. Le Maroc n’avait jamais connu une telle continuité du déficit pluviométrique. Les barrages affichent aujourd’hui 31,6 % de remplissage, contre 29 % à la même période l’an dernier : un léger mieux, mais un niveau toujours fragile pour une économie fondée sur l’agriculture et l’irrigation. Les nappes phréatiques, elles aussi, s’affaiblissent et certains bassins comme ceux du Tensift ou du Souss-Massa atteignent des seuils critiques.

Face à cette situation, le gouvernement a choisi de ne plus subir. Sous l’impulsion royale, il met en œuvre une stratégie de réaménagement intégral de la carte de l’eau, qui repose sur un principe simple : libérer les barrages pour le monde rural, et alimenter les villes côtières depuis la mer.

C’est le sens de la feuille de route que Nizar Baraka a détaillée : « Les zones côtières bénéficieront du dessalement afin que les ressources des barrages soient préservées pour les communes rurales et l’agriculture. »

Cette orientation marque une rupture majeure : l’eau devient non seulement une ressource à sécuriser, mais un outil de justice territoriale et de stabilité sociale.

Le dessalement de l’eau de mer est désormais la clé de voûte de cette nouvelle architecture. Les capacités nationales sont passées de l’ordre de 30 millions à plus de 320 millions m³ par an, et devraient atteindre 520 millions m³ à court terme. À l’horizon 2030, le pays vise environ 1,7 milliard m³ d’eau dessalée par an.

Cette montée en puissance permettra d’alimenter durablement Casablanca, Safi, Agadir, Dakhla et d’autres métropoles côtières, libérant ainsi les retenues continentales pour les provinces agricoles et rurales.

En parallèle, la stratégie de transfert inter-bassins se déploie. Le raccordement Bouregreg–Oum Er-Rbia, dont la signature est prévue pour décembre, symbolise cette solidarité hydraulique : relier les régions excédentaires du Nord à celles, déficitaires, du Centre et du Sud.

Ce projet permettra d’assurer un partage équilibré entre eau potable et irrigation, au bénéfice direct des provinces d’El Jadida, Sidi Bennour, Tensift, Doukkala et Beni Mellal. Il s’agit moins d’une infrastructure que d’un acte d’unité nationale, où l’eau devient vecteur de cohésion et de prospérité collective.

Mais la réponse du Royaume ne s’arrête pas à la technique. Elle engage une gouvernance renouvelée, centrée sur la durabilité. Les contrats de nappes phréatiques signés à Saïss, Berrechid et Boudenib traduisent cette volonté d’impliquer les acteurs locaux dans la préservation des ressources souterraines. Chaque bassin devient un territoire de concertation entre l’État, les collectivités et les agriculteurs, pour garantir l’eau aux générations futures.

Le « grand réaménagement bleu » est donc une transformation systémique. Il redéfinit le lien entre l’eau et le développement, entre la mer et la terre, entre la ville et la campagne.

Dans un pays où le climat impose ses limites, cette stratégie trace un autre horizon : celui d’une souveraineté hydrique équitable, partagée et durable.

Le raccordement Bouregreg–Oum Er-Rbia, symbole de la solidarité hydrique nationale

Le Maroc entre dans une phase d’ingénierie territoriale sans précédent. Le raccordement Bouregreg–Oum Er-Rbia, dont la signature officielle est annoncée pour la fin décembre 2025, n’est pas un simple chantier hydraulique mais un projet d’unité nationale. Conçu sous les orientations royales pour renforcer la justice territoriale et la résilience climatique, il incarne le principe de solidarité entre les bassins et entre les régions, cœur du grand réaménagement bleu.

Lors de sa déclaration, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a souligné que cette opération permettra de transférer jusqu’à 800 millions de mètres cubes d’eau entre les bassins du Bouregreg et de l’Oum Er-Rbia. L’objectif est de garantir une alimentation durable en eau potable et en irrigation pour les provinces d’El Jadida, Sidi Bennour, Doukkala, Tensift et Beni Mellal. Ce projet s’appuie sur un système progressif. Près de 400 millions de mètres cubes sont déjà transférés chaque année et la montée en charge portera ce volume à 800 millions lorsque l’infrastructure atteindra sa pleine capacité.

Ce schéma marque la fin d’une logique de cloisonnement entre bassins hydrauliques. L’eau devient un liant territorial, reliant les plaines agricoles, les zones industrielles et les communes rurales dans un même réseau. Le ministre l’a exprimé clairement : « L’un des aspects essentiels de notre politique est de renforcer la solidarité entre les régions et entre les bassins. » Cette solidarité prend forme dans les chiffres mais surtout dans les effets. L’eau des régions excédentaires du Nord et du Centre sera mobilisée pour soutenir les zones structurellement déficitaires du Sud et de l’intérieur.

Au-delà de l’aspect technique, cette infrastructure a une portée symbolique et économique forte. Elle permettra de sécuriser la production agricole d’une région qui concentre une part importante de la valeur ajoutée nationale tout en consolidant la confiance des investisseurs dans les grands bassins de production agro-industrielle. Elle profitera également aux zones rurales qui subissent de plein fouet les effets des sécheresses successives. Pour de nombreux villages, ce projet représente l’assurance de voir l’eau redevenir un facteur de stabilité, de santé et de maintien de la population.

Le raccordement Bouregreg–Oum Er-Rbia s’inscrit aussi dans une cohérence plus large, celle de la transition énergétique et industrielle. L’eau transférée permettra à terme d’alimenter les plateformes agricoles et minières situées dans le couloir industriel Khouribga–Jorf Lasfar, où le Groupe OCP développe ses projets stratégiques de valorisation durable des ressources naturelles. Le pipeline d’eau douce déjà mis en service entre Jorf Lasfar et Khouribga s’intègre à cette même logique en garantissant un approvisionnement sécurisé pour l’industrie tout en préservant les ressources souterraines. Ce maillage entre eau et industrie prépare la transition vers une nouvelle économie verte, où les partenariats de l’OCP avec des acteurs internationaux, notamment allemands et européens, ouvriront la voie à la production d’hydrogène vert et d’ammoniac décarboné.

Ainsi, le projet Bouregreg–Oum Er-Rbia n’est pas seulement un chantier d’ingénierie hydraulique. Il annonce un modèle d’intégration nationale où chaque goutte transférée symbolise un choix politique, celui d’un pays qui relie ses régions, protège ses agriculteurs et prépare l’avenir de son industrie dans une même dynamique de souveraineté.

Dessalement et hydrogène vert : la nouvelle matrice énergétique du Maroc

Alors que la sécheresse continue de marquer les équilibres régionaux, le Maroc transforme progressivement la contrainte hydrique en levier d’innovation. Le dessalement de l’eau de mer, d’abord conçu pour sécuriser l’approvisionnement des grandes villes, devient un pilier de la transformation énergétique et industrielle. En reliant la mer, le soleil et la technologie, le pays explore un modèle inédit : produire durablement l’eau et l’énergie à partir de ses propres ressources.

Le programme national de dessalement connaît une accélération sans précédent. La capacité totale installée dépasse aujourd’hui 300 millions de mètres cubes par an, contre à peine quelques dizaines de millions il y a cinq ans. Avec les projets en cours à Casablanca, Safi, Dakhla, Nador et Guelmim, le Maroc atteindra environ 520 millions de mètres cubes à l’horizon 2028 avant de franchir la barre du milliard à l’orée 2030. Les stations d’Agadir, Laâyoune, Boujdour et Al Hoceima fonctionnent déjà à plein régime. Cette montée en puissance permet de réserver les eaux douces des barrages au monde rural et à l’agriculture, tandis que les villes côtières s’alimentent désormais directement à la mer.

La logique du dessalement s’articule désormais avec celle de la transition énergétique. Les nouvelles stations côtières sont conçues pour fonctionner grâce à l’électricité issue du solaire et de l’éolien, réduisant la dépendance aux combustibles fossiles et préparant le terrain à l’émergence d’une économie de l’hydrogène vert. L’eau dessalée devient ainsi une matière première industrielle utilisée dans les procédés d’électrolyse qui permettront d’extraire l’hydrogène à partir d’électricité propre.

Le Groupe OCP occupe une place centrale dans cette dynamique. Son pipeline reliant Jorf Lasfar à Khouribga, alimenté en eau dessalée depuis la côte atlantique, illustre la cohérence entre autonomie hydrique et développement durable. L’entreprise a engagé une stratégie énergétique intégrée autour de ses filiales OCP Green Energy et OCP Innovation avec pour objectif la production d’hydrogène et d’ammoniac verts en partenariat avec plusieurs acteurs européens, allemands et africains. Cette orientation accompagne la décarbonation de la production d’engrais et la réduction de la consommation de charbon sur ses sites.

Le Plan national de développement de l’hydrogène vert (PNDH2) adopté en 2024 consolide cette trajectoire. Il identifie des pôles régionaux dédiés à Jorf Lasfar, Laâyoune, Guelmim et Dakhla où seront concentrés les investissements publics et privés. Ces territoires deviendront des plateformes d’exportation mais aussi des espaces de recherche, d’emplois et de transformation industrielle. Les synergies entre eau dessalée, énergie renouvelable et chimie verte redéfinissent la géographie économique du pays.

Le dessalement assure la stabilité hydrique, l’énergie verte alimente la production industrielle et l’hydrogène ouvre la voie à une transition vers un avenir décarboné.

La planification régionale, socle d’un nouvel équilibre territorial

Au-delà des infrastructures et des technologies, la transformation du modèle hydrique et énergétique marocain repose sur une planification régionale repensée. L’eau, l’énergie et le développement territorial ne sont plus traités comme des domaines séparés mais comme les trois dimensions d’une même politique d’aménagement du pays. Le ministère de l’Équipement et de l’Eau, en coordination avec le ministère de l’Intérieur et les collectivités territoriales, pilote désormais cette convergence à travers des feuilles de route régionales qui traduisent concrètement les orientations royales sur l’équité entre les territoires.

Le principe est clair : chaque région doit disposer d’une base hydrique et énergétique suffisante pour soutenir sa croissance, stabiliser ses populations et renforcer son attractivité économique. Dans le Nord, la stratégie repose sur les ressources du bassin du Loukkos et sur les extensions portuaires de Tanger Med et Nador, qui concentrent les flux logistiques et industriels. Dans le Centre, le couple Bouregreg–Oum Er-Rbia assure la connexion entre le littoral atlantique et les plaines agricoles. Dans le Sud, les régions de Guelmim et de Dakhla s’imposent comme les nouveaux laboratoires de la durabilité, combinant dessalement, énergies renouvelables et agriculture contrôlée.

Cette organisation territoriale ne vise pas seulement à équilibrer les ressources mais à créer des pôles intégrés où l’eau alimente la production, l’énergie soutient l’industrie et les routes relient les marchés. Le gouvernement a engagé un programme de réhabilitation des infrastructures rurales : plus de 48 000 kilomètres de routes sont aujourd’hui aménagés ou en cours d’entretien, et près de la moitié du budget du ministère de l’Équipement est désormais consacré à la maintenance et à la connectivité des territoires. L’objectif est d’assurer, d’ici 2030, que 80 % du réseau routier national soit en bon ou très bon état, condition indispensable à la vitalité économique des régions intérieures.

Dans cette logique, l’eau devient un facteur d’inclusion sociale autant qu’un instrument d’investissement. Les contrats de nappes phréatiques conclus à Saïss, Berrechid et Boudenib traduisent cette approche participative. Ils associent l’État, les collectivités, les agriculteurs et les agences de bassin pour instaurer une gouvernance locale et durable. L’objectif n’est plus seulement de réguler mais d’impliquer, en transformant la gestion de l’eau en un cadre de responsabilité partagée. Cette politique s’accompagne d’un appui au développement local à travers le Fonds spécial pour le développement rural et les zones de montagne, qui finance les routes, les écoles et les centres de santé dans les zones les plus vulnérables.

La planification régionale s’inscrit enfin dans la perspective de l’intégration continentale. Les régions du Sud, notamment Dakhla et Guelmim, se positionnent comme les futurs points d’ancrage d’une coopération africaine fondée sur les ressources durables. Les projets portuaires, énergétiques et agricoles y convergent pour faire de ces territoires non pas des zones périphériques, mais des portes d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest. Le développement du corridor atlantique, la montée en puissance du port de Dakhla Atlantique et l’arrivée des infrastructures énergétiques y redessinent les équilibres du pays dans une logique d’ouverture et de continuité territoriale.

La planification régionale devient ainsi le cadre d’un Maroc qui se pense dans la durée, non plus comme un ensemble de territoires inégaux, mais comme une mosaïque de pôles complémentaires, unis par une même ambition d’équilibre et de durabilité.

Gouvernance de l’eau : Vers une planification intégrée

L’eau n’est plus seulement une ressource, c’est désormais une question d’aménagement, d’équité et de souveraineté économique. Depuis trois ans, la gestion hydrique du pays s’oriente vers une refonte de ses fondements, avec une logique de convergence entre les politiques publiques, les acteurs régionaux et les bailleurs de fonds. Le Maroc ne se contente plus de gérer la rareté : il planifie une gouvernance durable de l’eau à l’échelle des bassins, en alignant les programmes d’investissement sur une stratégie nationale qui relie désormais les territoires, les énergies et les usages agricoles et urbains.

Cette mutation se concrétise à travers la feuille de route territoriale pilotée par le ministère de l’Équipement et de l’Eau, qui met l’accent sur la rationalisation des ressources, la modernisation des réseaux et la réutilisation des eaux traitées dans les périmètres agricoles. Chaque région dispose aujourd’hui de son plan hydrique intégré, pensé en coordination avec les agences de bassin et les collectivités, afin d’assurer une gestion équilibrée entre zones rurales et centres urbains.

Les contrats de nappe signés à Berrechid, Saïss et Boudenib s’inscrivent dans cette approche intégrée. Ils fixent des quotas, instaurent un contrôle partagé entre l’État et les usagers, et visent à préserver la durabilité des aquifères. Ces dispositifs marquent une rupture avec la gestion sectorielle du passé : ils engagent les acteurs locaux, les agriculteurs, les industriels et les élus dans un effort collectif de régénération des ressources.

Les institutions financières internationales soutiennent activement cette dynamique. L’Agence française de développement (AFD) accompagne le ministère de l’Équipement et de l’Eau sur plusieurs volets liés à la gestion du secteur, dans le cadre de la coopération hydrique nationale. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) accompagnent également la modernisation du secteur à travers des lignes de crédit et des programmes d’appui technique portant sur la gestion intégrée des ressources hydriques, la gouvernance des bassins et la réutilisation des eaux usées. Ces partenariats traduisent la confiance des bailleurs dans la capacité du Maroc à concilier performance économique et résilience climatique, tout en favorisant le transfert de technologies et de compétences dans la planification et la gestion durable de la ressource.

En parallèle, l’accent est mis sur la digitalisation du suivi hydrologique et la mise en réseau des observatoires régionaux de l’eau, afin d’assurer une transparence accrue dans les indicateurs de consommation, de qualité et de disponibilité. Cette approche technologique et participative ouvre la voie à un modèle de gouvernance plus réactif et plus équitable, où la ressource devient un bien commun géré à la fois par la science, la solidarité et la vision.

Préserver l’équilibre écologique : l’eau comme héritage commun

La question environnementale s’impose aujourd’hui comme le prolongement naturel de la politique de l’eau. La rareté ne se combat pas seulement par la production ou la distribution, mais aussi par la préservation. Dans un pays où sept années de sécheresse ont profondément bouleversé les écosystèmes, la maîtrise de la ressource passe désormais par une approche intégrée qui relie l’eau, la biodiversité et le climat.

Le Maroc a engagé un ensemble d’initiatives visant à protéger les nappes phréatiques et à restaurer les zones humides. Le ministère de l’Équipement et de l’Eau, en coordination avec le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, a renforcé le système de contrats de nappes dans les zones critiques de Saïss, Berrechid, Souss-Massa et Boudenib. Ces contrats, signés avec les agriculteurs et les collectivités locales, fixent des quotas d’extraction, encouragent la modernisation de l’irrigation et prévoient la recharge artificielle des aquifères à partir des eaux traitées. Cette approche participative, inédite à cette échelle, transforme la gestion souterraine en une responsabilité collective.

La réutilisation des eaux usées épurées devient elle aussi une composante essentielle du modèle durable. Plusieurs villes, dont Marrakech, Oujda, Agadir et Fès, utilisent déjà ces eaux pour l’arrosage des espaces verts et la production agricole. L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) et les collectivités locales visent à doubler cette capacité d’ici 2030. À Casablanca, le projet de traitement avancé permettra à terme de recycler près de 40 millions de mètres cubes d’eau par an, réduisant la pression sur les ressources naturelles et offrant une alternative viable pour l’irrigation périurbaine. Cette politique s’accompagne d’une sensibilisation accrue auprès des agriculteurs et des industriels sur les avantages économiques et écologiques du recyclage.

Le dessalement de l’eau de mer, désormais en expansion rapide, est encadré par des normes environnementales strictes. Les rejets de saumure, sous-produit concentré en sel, font l’objet de protocoles de dilution et de contrôle afin d’éviter tout impact sur la faune marine. Les nouvelles stations, notamment celles de Dakhla, Safi et Nador, intègrent des dispositifs de surveillance en temps réel et utilisent de plus en plus des énergies renouvelables pour limiter leur empreinte carbone. Le Maroc participe également à des programmes internationaux de recherche sur les technologies de dessalement à faible émission et sur la valorisation des sous-produits marins issus du processus.

La reforestation et la gestion des bassins versants complètent ce dispositif. L’Agence nationale des eaux et forêts conduit depuis trois ans un programme de restauration des zones de captage et de reboisement autour des grands barrages. Près de 133 000 hectares ont été replantés depuis 2022, notamment dans les zones de Tensift, du Rif et du Moyen Atlas. Ces projets visent à stabiliser les sols, à réguler les écoulements et à limiter l’envasement des retenues. La protection de la ressource en eau devient ainsi un outil d’adaptation climatique, mais aussi de cohésion sociale, car elle crée des emplois locaux et renforce les revenus des populations rurales.

Le Maroc s’oriente progressivement vers une gestion circulaire de l’eau, où chaque goutte, qu’elle soit de pluie, de mer ou d’égout, est valorisée dans un cycle continu. L’eau n’est plus seulement une ressource à consommer, mais un patrimoine à transmettre. Cette évolution traduit un changement profond de culture : passer d’une logique d’urgence à une logique d’équilibre.

L’eau, levier de dignité sociale et de stabilité rurale

La politique de l’eau ne se mesure pas uniquement à la hauteur des barrages ni à la puissance des stations de dessalement. Sa réussite se lit surtout dans la vie quotidienne des villages et des communes rurales, là où la rareté de l’eau conditionne encore l’école, la santé et l’emploi. C’est dans ces territoires que le Maroc cherche à rendre tangible l’équité hydrique annoncée par les grands projets nationaux.

Depuis trois ans, le ministère de l’Équipement et de l’Eau, en coordination avec le ministère de l’Intérieur, déploie un programme d’approvisionnement d’urgence en faveur des zones les plus touchées par la sécheresse. Plus de 1 200 camions-citernes sillonnent les campagnes et desservent chaque semaine près d’un million et demi d’habitants. Ce dispositif, mis en place avec les collectivités locales et les présidents de communes, a permis d’éviter des situations de rupture totale d’eau potable dans des régions comme Béni Mellal, Errachidia, Figuig ou Tata.

Dans le même esprit, la feuille de route gouvernementale prévoit la création de réseaux d’adduction et de mini-stations de dessalement pour les localités éloignées du littoral. Près de 110 unités rurales fonctionnent déjà, tandis qu’un second programme en prévoit 240 d’ici 2030. Ces petites infrastructures, alimentées par l’énergie solaire, garantissent un accès permanent à l’eau et réduisent la dépendance des habitants aux livraisons saisonnières. L’enjeu n’est pas seulement sanitaire : c’est un facteur de stabilité sociale et de maintien des populations rurales sur leurs terres.

L’eau redevient ainsi un vecteur de développement local. Les associations d’usagers et les coopératives agricoles sont encouragées à adopter des systèmes d’irrigation économes, comme le goutte-à-goutte solaire, qui permettent de tripler les rendements tout en divisant par deux la consommation d’eau. Dans plusieurs provinces, ces programmes sont accompagnés par des formations destinées aux jeunes agriculteurs et aux femmes rurales, soutenues par des financements de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement. L’objectif est de créer un tissu rural productif, capable de s’adapter aux cycles climatiques et de participer activement à l’économie verte émergente.

Les efforts d’investissement dans les routes rurales et les services de base complètent cette dynamique. L’accès à l’eau devient un catalyseur d’autres politiques publiques : éducation, santé, entrepreneuriat local. L’amélioration du réseau de distribution d’eau potable dans les écoles rurales, combinée à l’entretien des pistes, favorise la scolarisation des filles et limite l’exode vers les villes. Dans certaines provinces, les programmes hydriques sont même liés à des projets de santé mobile, garantissant à la fois l’eau et les soins de proximité.

Dans un monde rural souvent marqué par la précarité et la migration, l’eau prend la dimension d’un bien collectif et d’un facteur d’appartenance. Sa gestion concertée, son partage et son accès deviennent les nouveaux repères d’un développement équilibré. À travers cette politique, le Maroc redonne à ses territoires intérieurs la possibilité de construire leur avenir sans quitter leurs terres.

Coopération hydrique et énergétique : l’ambition africaine du Maroc

L’eau et l’énergie ne sont plus seulement des enjeux nationaux. Elles sont devenues le langage de la coopération et de la stabilité entre les pays. Le Maroc, fort de son expérience dans la gestion des ressources rares et dans la planification des infrastructures, s’impose progressivement comme un acteur de référence dans la diplomatie hydrique et énergétique. Cette ouverture internationale prolonge la vision royale d’un pays solidaire, tourné vers l’Afrique et ancré dans la Méditerranée.

Les dernières années ont vu la multiplication d’accords et de partenariats techniques avec plusieurs pays africains, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Niger. Ces coopérations portent sur la gestion intégrée des bassins, la construction de stations de dessalement et la formation de cadres dans les métiers de l’eau. Le Maroc partage son savoir-faire acquis dans la gouvernance des bassins et dans la mise en place des agences hydrauliques régionales. À travers l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), il accompagne également plusieurs pays dans la conception de réseaux d’adduction rurale et dans l’électrification des zones isolées. Cette coopération Sud-Sud, fondée sur la mutualisation des compétences, incarne une forme de diplomatie technique et concrète.

L’intégration africaine se manifeste aussi à travers le développement du gazoduc Nigeria–Maroc, projet structurant qui symbolise la convergence entre sécurité énergétique et solidarité régionale. Ce corridor énergétique, qui reliera plus d’une dizaine de pays d’Afrique de l’Ouest jusqu’au Maroc, est pensé comme une plateforme de développement économique, mais aussi comme une colonne vertébrale de coopération. Il favorisera la production d’électricité, l’industrialisation des régions traversées et la connectivité des marchés. Au-delà du gaz, ce projet ouvre la voie à des infrastructures partagées, capables à terme d’accueillir le transport d’hydrogène vert et d’autres énergies propres.

Sur le plan méditerranéen, le Maroc renforce également ses partenariats autour de la gestion des ressources hydriques et du dessalement. Les échanges avec l’Espagne et le Portugal ont permis de développer des programmes conjoints de recherche sur les technologies marines et les systèmes d’irrigation à faible consommation. L’Union européenne soutient ces efforts à travers le programme Team Europe Green Deal, qui finance les projets de résilience climatique et de développement durable dans la région. Les discussions en cours sur l’interconnexion électrique Maroc–Europe visent à faciliter l’exportation d’énergie renouvelable, mais aussi à renforcer la sécurité hydrique par la coopération technologique.

Dans le cadre de son ouverture sur le monde arabe, le Maroc collabore avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite sur des initiatives liées à la gestion de l’eau et à la valorisation de l’hydrogène vert. Les consortiums mixtes dans les régions de Guelmim et de Dakhla traduisent cette convergence stratégique entre investissement, innovation et durabilité. L’enjeu n’est plus de dépendre des ressources naturelles, mais de créer un modèle où l’eau, l’énergie et le savoir-faire deviennent des instruments d’influence et de partenariat.

En plaçant la question de l’eau au cœur de sa diplomatie économique et environnementale, le Maroc redéfinit sa place dans les équilibres régionaux. L’eau, autrefois facteur de vulnérabilité, devient un levier d’alliance et de confiance. Dans un continent confronté aux mêmes défis climatiques, cette expérience offre une base solide pour une coopération durable, fondée sur la solidarité, la technologie et la vision.

2030 : la nouvelle géographie du Maroc de l’eau et de l’énergie

Le Maroc de 2030 se dessine déjà à travers les chantiers qui transforment son territoire. L’eau n’y sera plus perçue comme une ressource rare et capricieuse, mais comme un axe d’organisation du développement. La mer, les barrages, les transferts, les réseaux ruraux, les stations de dessalement et les centrales solaires formeront une même trame, une géographie rationnelle où chaque région contribuera à l’équilibre de l’ensemble.

Le Nord et le Centre constitueront les zones d’abondance maîtrisée. Les bassins du Loukkos, du Sebou et du Bouregreg assureront l’alimentation des grands pôles urbains et industriels, tandis que les plaines du Gharb et de Doukkala redeviendront des territoires agricoles stables. Le Centre-Sud, relié par le couloir hydrique Bouregreg–Oum Er-Rbia, bénéficiera d’une alimentation continue et d’une meilleure gestion des nappes souterraines. Le Sud, quant à lui, deviendra le laboratoire d’une alliance entre mer et désert : les stations de dessalement de Dakhla, Guelmim et Laâyoune fourniront l’eau, l’énergie solaire et éolienne fournira la force motrice, et l’agriculture à haute valeur ajoutée y trouvera un nouveau souffle.

L’économie marocaine reposera sur cette dualité complémentaire : les littoraux produiront l’eau et l’énergie, les régions intérieures assureront la sécurité alimentaire et l’équilibre social. Les interconnexions électriques et hydrauliques feront du pays un réseau intégré plutôt qu’un ensemble de territoires isolés. Le modèle d’urbanisation sera lui aussi transformé : les villes côtières, libérées de la contrainte hydrique, pourront se développer sans peser sur les ressources continentales, tandis que les petites agglomérations rurales bénéficieront d’un approvisionnement stable et d’infrastructures renforcées.

La dimension énergétique portera cette évolution vers l’innovation industrielle. Les pôles de Jorf Lasfar, Dakhla et Guelmim deviendront les centres névralgiques de la production d’hydrogène vert, de l’ammoniac décarboné et des fertilisants durables. Autour de ces sites, des zones de recherche et de formation s’étendront, soutenues par l’OCP, Masen et plusieurs universités publiques. L’objectif n’est pas seulement de produire pour exporter, mais de créer une économie de la connaissance ancrée dans la maîtrise de l’eau et de l’énergie propre.

La gouvernance de ce Maroc de 2030 sera fondée sur la proximité et la donnée. Les agences de bassin disposeront d’outils numériques de suivi en temps réel des nappes, des pluies et des consommations. Les collectivités locales géreront leurs ressources avec une autonomie renforcée et une obligation de transparence. L’eau, devenue indicateur de développement autant que de cohésion, servira de mesure commune aux politiques publiques.

Si la sécheresse a été l’épreuve qui a révélé la vulnérabilité du pays, elle aura aussi déclenché la mutation la plus profonde de son histoire récente. D’ici 2030, le Maroc se sera donné les moyens de maîtriser son eau comme il a su maîtriser son énergie : par la planification, la technologie et la confiance dans ses territoires.


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