Le fonds Mohammed VI à la croisée des chemins : La grande mutation financière 2026-2028

Par Mohammed Taoufiq Bennani

Une transformation majeure se profile à l’horizon pour le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement (FM6I). Les projections établies pour la période 2026-2028 annoncent un changement significatif du profil comptable et financier de cette institution stratégique, marquant ainsi une nouvelle phase dans l’exécution des grands projets du Royaume. L’événement, détaillé dans la note de présentation du Projet de Loi de Finances (PLF) de l’année 2026, souligne la montée en puissance de l’outil d’investissement. Dès lors, le FM6I s’apprête à passer d’une phase transitoire, largement dépendante des revenus de placements, à un modèle caractérisé par des décaissements complets et un suivi accru des participations.

 

Les fondements d’un nouveau profil comptable

Cette mutation, prévue entre 2026 et 2028, découle directement de l’accélération de l’action du Fonds. Le FM6I, dont la mission principale est d’appuyer les activités de production et d’accompagner le financement de projets d’investissement publics et privés, voit ses engagements prendre corps. En effet, cette transformation sera portée par la croissance soutenue des immobilisations financières. Par conséquent, l’augmentation des charges de suivi et de gestion, intrinsèquement liées au monitoring des participations, jouera un rôle clé. Pendant cette phase transitoire menant aux décaissements complets, le Fonds maintiendra également un modèle à forts impacts financiers, reposant largement sur les revenus de placements.

 

L’écosystème du private equity prend son envol

L’une des avancées notables du FM6I concerne l’opérationnalisation de ses fonds sectoriels et thématiques. Un premier appel à manifestation d’intérêt, lancé au cours de l’année 2025, a permis de sélectionner 14 sociétés de gestion. Parmi celles-ci, on compte 9 sociétés marocaines et 5 sociétés internationales, couvrant des secteurs cruciaux tels que l’industrie, l’agriculture, l’agro-industrie, le tourisme, le transport et la logistique. De plus, cet effort a engendré une mobilisation impressionnante de capitaux. Les sociétés de gestion ont en effet mobilisé près de 14,5 milliards de dirhams (MMDH). Le Fonds y a ajouté 4,5 MMDH, constituant ainsi une enveloppe globale de 19 MMDH. En outre, ce mouvement soutient l’émergence d’un écosystème national de gestion de private equity, renforçant ainsi le rayonnement du Maroc comme hub régional.

 

Soutenir les PME et l’innovation

Par ailleurs, le Fonds a développé des mécanismes ciblés pour soutenir les entreprises et l’innovation. Concernant les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) marocaines, le produit de dette subordonnée « CapAccess » a été lancé en partenariat avec « Tamwilcom » et onze banques. C’est pourquoi, ce mécanisme leur offre une source de financement complémentaire et non dilutive, facilitant le déblocage de crédits bancaires. À fin 2024, ce produit avait déjà octroyé 368 millions de dirhams (MDH) de crédits subordonnés. Ainsi, il a généré 2,35 MMDH d’investissements et créé près de 1 900 emplois.

Simultanément, le FM6I se positionne en faveur des jeunes pousses innovantes. L’appel à manifestation d’intérêt pour les fonds dédiés aux start-ups, mené conjointement en 2024 avec le ministère chargé de la Transition numérique et la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), a suscité 47 candidatures. Ces candidatures couvraient des secteurs innovants variés, tels que la fintech, la healthtech, l’agritech ou la cleantech. Neuf sociétés de gestion ont été présélectionnées, représentant des fonds totalisant 6,7 MMDH, dont 2,54 MMDH sont spécifiquement destinés aux start-ups marocaines ou ayant un lien fort avec le Maroc. De ce fait, un protocole d’accord a également été signé entre la CDG et le département de la Transition numérique pour dynamiser l’écosystème des start-ups.

 

Des investissements structurants pour l’indépendance du royaume

Le Fonds ne se limite pas aux PME et aux fonds sectoriels, il prend également des participations directes dans des projets structurants majeurs. D’une part, le FM6I participe au capital de la société Énergie Électrique de Tahaddart (EET), exploitant une centrale électrique à gaz naturel de 400 MW. Cette opération est menée en partenariat avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), « Siemens » et « Endesa ». Elle vise à prolonger la durée de vie de la centrale et à développer de nouvelles capacités de production, consolidant l’indépendance énergétique du Royaume. Le closing de cette opération est actuellement en cours de finalisation.

D’autre part, en mai 2025, le Fonds a pris une participation dans un consortium maroco-émirati, toujours en partenariat avec l’ONEE. Ce méga programme d’investissements porte sur près de 130 MMDH à l’horizon 2030. Il vise à renforcer la sécurité hydrique et l’indépendance énergétique du pays. De même, ce programme prévoit le développement d’infrastructures majeures, incluant des stations de dessalement d’eau de mer, une autoroute de l’eau, une centrale à cycle combiné, une ligne électrique HVDC de haute tension, et des projets d’énergies renouvelables. Ce programme ambitieux devrait créer plus de 25 000 emplois, dont plus de 10 000 postes stables.

Enfin, en perspective des grands événements sportifs à venir, notamment la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2025 et la Coupe du Monde 2030, l’initiative « Cap Hospitality » a été lancée. Ce mécanisme de financement et de soutien cible la modernisation et la mise à niveau des établissements d’hébergement touristique classés (EHTC) qui n’ont pas été rénovés depuis plus de cinq ans. L’objectif est d’atteindre 25 000 chambres modernisées, avec un investissement global estimé à 4 MMDH.

 

La phase des décaissements s’ouvre

Les projections 2026-2028 confirment l’entrée du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement dans une phase d’exécution à grande échelle. L’institution est désormais pleinement engagée à appuyer l’économie nationale, des start-ups innovantes aux mégaprojets d’infrastructure. En définitive, la transformation du profil comptable et financier reflète la traduction concrète des engagements pris, caractérisée par une croissance soutenue des immobilisations financières. Reste à voir si la dynamique des décaissements et des closings permettra au Fonds d’atteindre l’objectif de consolidation de l’indépendance énergétique et hydrique du Royaume avant l’échéance de 2030.