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Kamel Daoud : Prix Goncourt menacé d’arrestation en Italie

Liberté d'expression en péril. Pourquoi Kamel Daoud ne peut pas voyager en Italie.

Par Mohammed Taoufiq Bennani


Un écrivain de renom contraint de renoncer à une invitation prestigieuse à l’étranger. Kamel Daoud, figure emblématique de la littérature franco-algérienne, ne se rendra pas en Italie pour un festival littéraire, une décision contrainte par la menace de mandats d’arrêt internationaux émis par l’Algérie. Cette annonce, faite le vendredi 13 juin 2025 par son éditeur Gallimard, révèle une situation complexe où la coopération judiciaire entre l’Algérie et l’Italie soulève des craintes sérieuses d’arrestation. Alors que l’auteur devait donner une lecture de son roman “Houris” à La Milanesiana, à Pavie près de Milan, c’est depuis la France qu’il continuera de défendre son œuvre, pris dans une tempête judiciaire et politique.

La menace des mandats internationaux

L’écrivain Kamel Daoud est visé par deux mandats d’arrêt internationaux émis par l’Algérie depuis début mai. Ces mandats sont le résultat de plaintes déposées en Algérie l’année dernière. Dès lors, la perspective d’un voyage en Italie est devenue trop risquée pour l’auteur. Gallimard, son éditeur, a confirmé qu’il ne se rendrait pas au festival, se refusant à tout autre commentaire sur la situation. Le ministère français des Affaires étrangères a, par ailleurs, reconnu avoir été notifié de ces mandats. Le porte-parole, Christophe Lemoine, a déclaré que la France suivrait attentivement la situation, réaffirmant son attachement indéfectible à la liberté d’expression pour cet “auteur respecté et connu”.

Au cœur de la controverse, le roman “Houris”

Au centre de cette affaire se trouve le roman de Kamel Daoud, “Houris”, couronné par le prestigieux prix Goncourt 2024. Les poursuites judiciaires ont été engagées après que la cour d’Oran, en Algérie, a accepté les plaintes déposées contre l’auteur et son épouse, psychiatre. La première plaignante est Saâda Arbane, une ancienne patiente de l’épouse de Daoud. Comme l’héroïne du roman, elle a survécu à un massacre d’islamistes et a eu la gorge tranchée. Arbane accuse Daoud et sa femme d’avoir utilisé des détails de son traumatisme sans son consentement. La deuxième plainte émane de l’Organisation nationale des victimes du terrorisme en Algérie. Les deux parties affirment que le roman s’approprie la souffrance de personnes réelles à des fins littéraires.

Une bataille judiciaire sur plusieurs fronts

Ces mandats d’arrêt sont émis en vertu du droit algérien, qui permet aux tribunaux d’émettre de tels ordres lorsque les suspects se trouvent à l’étranger. Kamel Daoud, résidant actuellement en France, a appris l’existence de ces mandats par l’intermédiaire de son avocate, Jacqueline Laffont-Haïk. En outre, l’auteur fait également face à un procès civil en France, où Saâda Arbane l’attaque pour violation de la vie privée. Une audience préliminaire s’est tenue à Paris récemment.

Une coopération judiciaire inquiétante

La décision de Daoud de ne pas se rendre en Italie est directement liée à l’intensification de la coopération judiciaire et policière entre l’Algérie et l’Italie ces dernières années. Cette alliance accrue a alimenté la crainte que la police italienne puisse appliquer les mandats d’arrêt internationaux algériens. Le 3 juin, le président français Emmanuel Macron a été reçu à Rome par la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, une rencontre qui a eu lieu peu après que des informations aient circulé sur le renoncement de Daoud à son engagement.

Des accusations politiques et une défense vigoureuse

L’avocate de Kamel Daoud, Jacqueline Laffont-Haïk, a clairement exprimé la position de la défense. Elle a déclaré que “Ces mandats portent un motif politique clair”. Elle a ajouté : “Cela fait partie d’une tentative plus large de faire taire un écrivain dont l’œuvre touche aux souvenirs les plus douloureux de l’Algérie”. En conséquence, son équipe a l’intention de déposer un recours auprès de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol pour bloquer la diffusion des mandats. Pour sa part, Kamel Daoud a défendu son roman en affirmant que l’histoire était déjà du domaine public en Algérie. Il a également insisté sur le fait que “Houris” ne relate pas la vie d’Arbane. Son éditeur, Gallimard, a dénoncé ce qu’il a décrit comme des “campagnes de dénigrement” menées par des médias proches des autorités algériennes.

L’écho d’une mémoire nationale censue

Le roman “Houris” explore les conséquences de la violence islamiste en Algérie, en se concentrant sur les cicatrices personnelles qu’elle a laissées. Cependant, en raison des lois algériennes sur la censure, qui interdisent la littérature abordant la guerre civile de 1992 à 2002, le roman reste indisponible dans le pays. En somme, cette affaire soulève de plus larges questions sur la frontière entre la fiction et la vérité, la mémoire et le silence. Elle met en lumière “le coût que les écrivains peuvent payer quand ils reviennent sur les blessures qu’un pays refuse d’examiner”.

En conclusion, la situation de Kamel Daoud, pris entre des mandats d’arrêt internationaux et des accusations de violation de la vie privée, est emblématique des tensions entre la liberté artistique et les mémoires nationales sensibles. La crainte d’une arrestation en Italie, exacerbée par une coopération judiciaire renforcée, a contraint l’écrivain à un exil forcé de son pays natal. Cette affaire continuera de poser une question cruciale. Jusqu’où un écrivain peut-il aller dans l’exploration des traumatismes collectifs sans se heurter aux frontières de la loi et de la politique ?


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