Humanité digitalisée : AI et la fin de l’Homme

C’est aujourd’hui une évidence, de celles qui ne souffrent aucune ombre : le désir de liberté des gens a changé du tout au tout. Nous vivons aujourd’hui à une époque où les uns comme les autres célèbrent leur esclavage et le montrent de la façon la plus ostentatoire possible. Ils glorifient leur état comme faisant partie d’une communauté qui travaille à son emprisonnement à perpétuité. C’est un choix d‘être incarcéré tant que l’humain a l’assurance de l’amusement via des gadgets, qu’il mange de la nourriture douteuse et qu’il boive des boissons chimiques et édulcorées. Tout le reste ne l’intéresse plus. Il refuse de s’éduquer. Il ne veut en aucun cas apprendre. Et surtout ne lui demandez jamais de réfléchir. C’est au-dessus de ses capacités de chose larvaire, végétant entre deux stades de son évolution, entre la déformation et l’hybridation. C’est dans ce sens que nous avons hérité d’un monde détruit et hybride. Aujourd’hui, seul l’homme stupide, insensible et perturbé a une place dans cette société. Aujourd’hui, le droit à la vie et à la liberté est requis avec les mêmes qualifications pour être interné dans un asile de fous où le mot d’ordre est affiché au fronton de l’établissement : immoralité, hypomanie et incapacité de réfléchir. Face à ce spectacle aussi hideux, celui qui a gardé un peu de bon sens nous confie ceci : «J’ai ouvert les yeux et j’ai vu le monde tel qu’il est. Et là, j’ai été pris d’un fou rire qui dure encore». Parce qu’à n’en pas douter, l’un des problèmes de notre société aujourd’hui, c’est que les gens ne veulent pas être utiles, mais importants. Chacun, à sa mesure, pense qu’il est le centre de l’univers. Chacun est convaincu que sans lui la terre cessera de tourner. Chacun veut dire à la planète entière qu’il est là, qu’il bouge, qu’il se meut, qu’il gesticule. Et pour convaincre le monde de sa présence virtuelle, il part dans des rires hilarants, il grimace, il fait des simagrées, il regimbe, il saute dans tous les sens, il détaille sa vie au rabais : ce qu’il mange, ce qu’il boit, ce qu’il porte comme haillons, mais il évite de parler de ce qu’il pense. Parce qu’il ne pense plus. Les méninges sont aux arrêts. Ils sont sur mode HS. Kaput. Face à une situation aussi inextricable, il faut résister au flux tendu des heures avec leur lot de situations humaines et inhumaines les plus implacables. Il faut être vigilant pour ne pas glisser vers l’inanité et la vacuité, comme c’est le cas de milliards de citoyens de ce monde aujourd’hui. Des gens qui ne vivent pas. Des gens qui subissent le temps et les circonstances qui en découlent. Des personnes qui n’ont aucune incidence sur leur vie. Des gens, comme vous et moi, qui se font écraser par la lourdeur des mécanismes communautaires. Ils ploient sous le joug du non-choix. Parce qu’ils ont été embrigadés. Ils ont été menés à l’abattoir des sens. Ils ont subi, tous, sans exception, une lobotomie. Ils ont été endoctrinés : parce que quand ce que l’on nomme éducation limite l’imagination de l’individu, cela porte un nom: endoctrinement. Manipulation. Et ce, tous azimuts. Cela va de ce que l’on doit manger et boire, à ce que l’on doit dire aux autres, à comment parler avec ses enfants, comment s’adresser aux autres, comment travailler, comment trimer, pour une récompense qui consacre la servilité des uns et des autres, parce qu’il est clair et limpide que toute personne qui ne travaille que pour s’assurer le pain et l’eau n’est rien d’autre qu’un esclave. Face à cet esclavage systématisé dans toutes les sociétés modernes, il y a aussi le fait de cibler la connaissance comme l’ennemi à abattre, quoi qu’il en coûte. Il faut maintenir les gens sous pression, sans leur donner la moindre possibilité de s’éduquer, pour ne jamais penser et réfléchir. On attaque la cervelle et on l’habitue au mode en panne. On la met sur pause et on attend de voir les uns et les autres devenir des bouches à nourrir et une tuyauterie à irriguer. Mais l’histoire nous a donné une grande leçon que l’on ne doit jamais oublier, comme nous le rappelle Heinrich Heine disant que : «Là où ils brûlent des livres, ils vont aussi brûler des gens». Pourtant, nous avons, tous, le choix. Le choix de dire non avant de dire oui à l’existence et ses terribles contingences quand celles-ci écrasent les hommes et les réduisent à une simple tuyauterie qui ingère, qui digère et qui expulse des scories. Nous avons tous le choix de ne pas être un simple rouage téléguidé qui n’a aucune capacité de résistance à quoi que ce soit, puisqu’il cède à tout et devient la marionnette de tout ce qu’on lui met entre les doigts. N’étant sûr de rien, surtout de ce qu’il aurait pu devenir, il n’est plus rien. Il devient une chose manipulable que l’on actionne à volonté, dans tous les sens et surtout dans tous les contresens. Cette condition n’est même pas celle de l’animal, puisque celui-ci, malgré l’apprivoisement, continue d’avoir des résistances et se montre très résilient face à l’adversité et aux pressions quelle que puisse être leur nature. La condition des hommes modernes n’est même pas celle du végétal qui a des propriétés naturelles de faire face à toutes les intempéries et à tous les aléas, avec de grandes facultés d’adaptation, dans les milieux les plus hostiles. Ce qui reste de ce que nous avons connu, durant des siècles de l’Histoire comme étant l’Homme, est une entité entre deux stades de sa mutation. Il n’est plus tout à fait ce qu’il était. Et il n’est pas encore ce qu’il devrait devenir. C’est dans cet entre-deux que ladite modernité, avec tout ce qu’elle charrie de dévastateur pour l’humanité finissante, met en avant tout un arsenal technologique pour achever l’Homme. Avec cette constante historique, que la science c’est de l’histoire arrangée en fonction de la superstition et de l’ère du temps. Celle d’aujourd’hui est de faire admettre à ce qui reste de l’Homme que son salut est de ne plus être un Homme. Et il a facilement adhéré à cette théorie évolutive du passage de l’humain au gadget télécommandé à distance. Avec, à terme, la perspective d’être une simple relique aux mains de l’artifice intelligent. Dans pas très longtemps, à peine deux ou trois décennies, dans certaines régions du monde, ceux qui restent des humains seront les sujets des machines dites intelligentes. On les voit de là, hagards, perdus, sonnés, conditionnés pour suivre les machines comme des bêtes de compagnie ou de somme, c’est selon. Ils sont là, un cachet rose par jour, en guise d’aliment complet, errant partout et nulle part. Tandis que la machine achève ce qui reste de cet ancien temps nommé humanité. Ce qui est terrible avec cette histoire qui se profile devant nous, c’est que tout le monde accepte et applaudit. Les gens sont heureux d’être remplacés par l’artifice dit intelligent. Ils en font la réclame aujourd’hui. Ils font dans la surenchère pour louer les bienfaits de ce qui va les supplanter, à telle enseigne que la révolution de l’intelligence artificielle a pris moins de temps que prévu. Elle a bénéficié du concours en force des humains eux-mêmes, qui ont porté aux nues leur futur exterminateur. Ils y vont, béatement, main dans la main, vers leur dernière nuit.