Haschich et ramadan

Par Docteur Imane Kendili
Durant le mois de ramadan, les uns et les autres savent qu’ils vont trimer, qu’ils vont avoir les crans et les crocs parce qu’ils n’ont rien de substantiel dans le corps, alors il faut se lâcher. C’est naturel. Mais pour ceux qui ont des habitudes comme l’alcool et le cannabis et d’autres addictions, c’est un terrible dilemme. Il faut arrêter de boire durant ce mois sacré, mais on va fumer des tonnes de haschich, paraît-il ce n’est pas «7ram». Pour moi, qui suis néophyte dans les affaires religieuses, je demande conseil à un fqih tant ce paradoxe sur fond de drogue me pose problème (juste dans le sens strict de mon désir de saisir de quoi il en retourne). Alors monsieur l’homme religieux : alcool et haschich, c’est quoi la différence ? «Ils sont tous les deux 7ram».
Voilà qui a le mérite d’être limpide. Alors comment ça se fait que des millions de Marocains arrêtent de boire, mais doublent au moins leur dose de cannabis durant ramadan ? C’est une drogue comme une autre, mais, on en consomme comme la chebbakia, les briwates et autres dattes durant le mois sacré. D’ailleurs, le cannabis a tellement la cote durant les 30 jours de jeûne que plusieurs se recyclent pour l’occasion en dealers. Ça rapporte, ça crée des liens sociaux, ça fait monter d’un cran le statut social de certains. Bref, il paraît que les joints servent de ciment humain à tous les niveaux. Mon ami chauffeur de taxi me dit que : «c’est pour ça que c’est toléré. On sait qu’on est complètement pété avec quelques joints corsés, mais on ne peut pas tout interdire d’un coup.
On risque une sacrée pagaille. Alors, pas de vin, ni bière, ni aucun autre tord-boyaux, mais on roule, on s’enfume, on calme les esprits chauffés, dans l’éther de l’herbe». Mon ami taxi driver devient lyrique quand il parle de joints. Je le soupçonne d’y goûter des fois, mais il jure ses grands saints que non. Je le crois. Sauf que nous n’avons toujours pas notre réponse. Mon acolyte semble avoir trouvé la bonne parade : «tu sais mon ami, du haschich on en produit à revendre. Normal d’en consommer douze mois sur douze. Quant aux alcools, l’histoire est compliquée. Le texte sacré en parle, on ne peut pas faire comme si on n’a pas bien lu. Alors on choisit, on fait dans la mesure et on laisse aux gens le choix. Tu ne boiras pas, mais tu fumeras. Tu fumeras toute ta race si le cœur t’en dit. Et le jour de l’Aid Al Fitr, tu peux même te faire un cocktail à base de joints, de bière, de vin rouge, de whisky, de ma7ya et tout ce que tu veux.» Et il n’y a pas que cela qui est vécu avec frénésie durant le mois sacré.
Tous les interdits deviennent coriaces. Ils s’imposent aux pauvres jeûneurs. Avez-vous remarqué cette braderie du sexe durant ramadan. Ça commence à draguer dès le matin. On flirte en douce, on se passe des numéros, on programme l’après rupture du jeûne. On fomente des orgies. Le pourquoi est clair pour les analystes de l’âme humaine. Mais pour mon ami taxiste, il y a plus : «On affame le corps, mais on nourrit l’âme avec du sexe», qu’il me sort. Je vous ai dit qu’il a l’âme d’un poète mon ami aujourd’hui. Ce qui ne change rien à la donne, puisque nous avons beau donner dans les discours dogmatiques, rabâcher des thèses sur la sacralité, redoubler d’hypocrisie et de slogans sacro-saints : pour de très nombreuses personnes, ramadan est devenu juste un mois où l’on fait bombance, on se shoote à tout et on se paie des parties de jambes en l’air.
Ramadan a ceci de bien qu’il remet au goût du jour des sujets que l’on croit évidents et faisant partie des mœurs acceptées sans tabous dans la société» J’ajoute pour alarmer davantage le jeune adepte du haschich après la rupture du jeûne que «mieux encore, mon ami. Comme il ne faut pas ouvrir les débits d’alcool durant le mois sacré, c’est pareil pour le cannabis. Il y aura une pénurie d’ici quinze jours. Plus un gramme de haschich dans les rues. Les dealers vont se recycler en vendeurs de jus et ceux qui veulent fumer ont intérêt à faire le plein de haschich comme les buveurs qui font déjà le tour des débits d’alcools pour s’approvisionner comme s’ils partaient en guerre». Le bonhomme assis devant à côté du chauffeur devient rouge. Il n’y croit pas. Pourtant on lui cite des titres de journaux de notre invention et on le fait marcher. Et il galope littéralement, pris de panique à l’idée de ne pas trouver de joints durant ramadan pour pouvoir supporter d’autres manques. «Et pourquoi ils vont interdire de fumer les joints. Enfin c’est interdit de facto, mais on fume comme on veut, mais ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que personne dans mon entourage ne soit au courant !» Le taximan lui dit tout de go : «mais tu ne pensais pas qu’ils allaient te préparer des mois à l’avance pour que tu prennes tes dispositions en allant acheter des kilos de cannabis pour le cacher ! On fait ce qu’on peut, mon fils. On a d’abord pensé au pain, au gaz et à d’autres problèmes plus urgents avant de s’attaquer à des sujets secondaires, certes importants pour le calme et le bien-être d’une large frange de la société, mais tout de même pas aussi vitaux que le pain et le gaz, mon fils, n’est-ce pas ?».
Le jeune haschachin n’est pas de cet avis. Et il ne s’en cache pas. «Fumer pour certains est plus important que de boire et de manger, c’est une nécessité première». Tiens ! le gamin fait dans l’économie citoyenne en pensant aux priorités des uns et des autres ! C’est clair qu’il a les jetons puisqu’il a déjà envoyé des sms à des potes fumeurs qui devraient être au courant ou du moins avoir un peu de haschich sous la main pour les jours sans. Mon ami chauffeur de taxi ne laisse pas tomber. Il en rajoute une couche : «Et il paraît que la cigarette sera aussi réglementée. Eh oui, pour fumer aujourd’hui, il faut montrer qu’on a les moyens, qu’on peut aller voir un toubib, une bonne assurance maladie et tout le truc. On ne va pas laisser les gens mourir de cancer sans sourciller. Nous sommes dans une société en mouvance et on a décidé de faire le bien autour de nous, c’est la nouvelle politique avant les élections, mon fils. Alors fais gaffe ! Si tu veux fumer, vas-y tire sur la clope tant que tu veux, mais gardes-en pour les jours malheureux». Le jeune homme accuse le coup, gobe tout ce qu’on lui dit et descend du taxi tout retourné. Il sait déjà qu’il va fumer tous les joints possibles d’ici le premier jour du ramadan et il en mettra de côté au cas où ce qu’il vient d’entendre se vérifiait ! Comme quoi, «El Belia S3iba» !