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Gnaoua : Quand la culture façonne le développement

Par Kenza El Mdaghri


À quelques jours du lever de rideau sur la 26ᵉ édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, le regard porté sur cet événement dépasse de loin la sphère artistique. À Essaouira, où résonneront du 19 au 21 juin 2025 les percussions envoûtantes des Maâlems et les vibrations du jazz, du reggae ou du flamenco, c’est tout un modèle de développement territorial qui se donne à voir. Plus qu’un festival, Gnaoua est devenu un laboratoire vivant de diplomatie culturelle, de rayonnement africain et d’ancrage social, porté par une conviction que Neila Tazi résume sans détour : « La culture n’est pas un luxe, mais un véritable levier de développement ». Une déclaration faite à l’agence MAP et relayée largement dans les médias, qui illustre la vision à long terme de cette productrice chevronnée, fondatrice du festival et figure centrale des industries culturelles au Maroc.

Depuis 1998, le Festival Gnaoua s’est construit patiemment sur une promesse : inscrire un patrimoine immatériel marocain dans une dynamique d’ouverture, de dialogue et de transmission. D’abord porté par les communautés gnaouies elles-mêmes, le projet a progressivement attiré les regards du monde entier. Des musiciens de renom tels que Marcus Miller, Asma Hamzaoui, Bill Laswell, ou encore Hindi Zahra, ont fait vibrer les scènes d’Essaouira aux côtés des Maâlems, dans une alchimie musicale qui dépasse les frontières. Mais ce qui fait la singularité de l’événement, c’est moins la programmation que sa capacité à inscrire la culture dans les logiques de développement local. Sur le plan économique, le festival génère des milliers d’emplois directs et indirects dans une ville où la dynamique touristique repose en grande partie sur les grands rendez-vous culturels. Hôtellerie, artisanat, restauration, logistique, technique : c’est tout un écosystème qui s’active, année après année, autour d’une initiative privée devenue pilier du calendrier national.

Neila Tazi, également présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC), assume une stratégie claire : faire de la culture un secteur structuré, reconnu et soutenu par les politiques publiques. Elle milite depuis des années pour une fiscalité adaptée aux acteurs culturels, pour l’accès au financement, et pour une reconnaissance institutionnelle du rôle des artistes dans la cohésion sociale. Dans ce cadre, le festival agit comme vitrine et moteur. Le Forum des droits humains qui s’y tient en parallèle, en partenariat avec le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, élargit le champ à des débats profonds sur les libertés, les migrations ou les identités culturelles. Autour des scènes, la ville d’Essaouira devient un théâtre citoyen, où se mêlent concerts, dialogues, rencontres, et parfois confrontations fécondes entre générations, cultures et disciplines.

Ce modèle attire l’attention bien au-delà des frontières. Soutenu par des institutions comme l’Union européenne, le festival a vu naître une initiative inédite en Afrique du Nord : un partenariat avec le prestigieux Berklee College of Music de Boston, qui permet à de jeunes musiciens marocains et internationaux d’échanger, de créer et de se former ensemble, sous la houlette des Maâlems. Cette reconnaissance académique d’un savoir ancestral longtemps marginalisé est un signal fort : le Maroc affirme son identité plurielle, en assumant l’héritage africain et en l’inscrivant dans le futur. Pour Neila Tazi, ce pont entre traditions locales et réseaux mondiaux est la clé d’une diplomatie culturelle moderne, inclusive et durable.

En toile de fond, la question du financement de la culture reste centrale. Si le festival s’est maintenu, c’est grâce à une alliance habile entre mécènes privés, soutiens institutionnels et ingénierie entrepreneuriale. Dans un contexte où les festivals se multiplient sans toujours garantir leur pérennité, Gnaoua apparaît comme une référence solide, autant par la qualité de son contenu que par sa gouvernance exemplaire. Mais l’équilibre est fragile, et le modèle mérite d’être reproduit avec discernement, dans d’autres territoires du Royaume, où la culture pourrait jouer ce même rôle d’accélérateur de développement.

À l’heure où l’Afrique redéfinit ses récits et revendique sa place dans les circuits de la création, le Maroc, à travers Essaouira et le Gnaoua Festival, propose un chemin original. Un chemin où la culture n’est ni folklore, ni vitrine, mais bien un socle de croissance, de rayonnement et d’émancipation. Et c’est peut-être là que réside la plus grande réussite de Neila Tazi : avoir transformé un rêve musical en projet politique au sens noble du terme, sans jamais trahir l’esprit des tambours ni l’âme des ruelles souiries.


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