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Gaza marginalisée dans la stratégie régionale de l’Iran

Par Yassine Andaloussi


L’acceptation par l’Iran d’un cessez-le-feu avec Israël sans exiger un arrêt simultané de la guerre à Gaza marque un tournant silencieux mais profond dans la posture régionale de Téhéran. Ce choix stratégique révèle une hiérarchisation des priorités éloignée des slogans révolutionnaires et redessine les lignes de fracture idéologiques au Moyen-Orient.

 

Depuis plus de quarante ans, l’Iran a cultivé avec constance une image de protecteur des causes jugées justes dans le monde musulman. Parmi celles-ci, la question palestinienne a toujours occupé une place centrale. Gaza est devenue le symbole de l’axe de la résistance, porté par un discours révolutionnaire dénonçant à la fois Israël et les puissances occidentales. Pourtant, l’attitude récente de Téhéran trahit une rupture silencieuse mais significative. En acceptant une désescalade bilatérale avec Israël sans inclure explicitement Gaza dans le périmètre de la trêve, l’Iran choisit de privilégier ses intérêts nationaux au détriment d’une solidarité longtemps mise en avant.

Ce geste soulève une question essentielle. Gaza n’est-elle qu’un outil conjoncturel dans l’arsenal stratégique iranien ou bien une cause réellement défendue au nom de principes supérieurs. Ce que laisse penser la décision de Téhéran tend vers la première hypothèse. Elle s’inscrit dans un contexte d’épuisement interne. L’économie iranienne souffre. L’inflation détruit le pouvoir d’achat. Les sanctions étranglent les exportations. Les jeunes contestent les dogmes du régime. Le gouvernement joue donc une carte de survie. Il évite l’escalade. Il évite l’isolement complet. Il cherche à se maintenir dans une équation sécuritaire instable mais gérable. Gaza ne peut pas être le déclencheur d’un effondrement intérieur. Voilà la logique qui semble dominer.

Cette posture nouvelle reflète aussi une relecture des équilibres dans la région. Téhéran mise davantage sur les milices chiites en Irak, les Houthis au Yémen et le Hezbollah au Liban. Des groupes mieux ancrés, plus fidèles, plus contrôlables. Le Hamas, malgré une alliance technique, reste un mouvement sunnite autonome et idéologiquement fluctuant. Dans cette hiérarchie de confiance, Gaza s’efface peu à peu. Ce qui était un front symbolique devient un foyer d’instabilité que l’Iran ne veut plus assumer directement.

 

Une stratégie de préservation

Le choix iranien de la désescalade sans Gaza peut aussi se lire comme une tentative de contenir le risque d’une guerre généralisée. Israël dispose de capacités de frappe supérieures. Les États-Unis soutiennent activement Tel-Aviv. Une confrontation directe ouvrirait la voie à des représailles majeures sur le sol iranien. Les dirigeants iraniens le savent. Ils préfèrent limiter les dégâts que jouer un rôle héroïque et suicidaire. Ce réalisme stratégique l’emporte donc sur la logique du sacrifice idéologique.

Dans ce contexte, les déclarations officielles de soutien à Gaza apparaissent comme des éléments de langage. La décision réelle reste dictée par la préservation de l’État iranien. L’armature révolutionnaire cède face au besoin d’assurer la continuité du pouvoir. Il ne s’agit pas d’un renoncement affiché mais d’un effacement progressif. Un glissement discret qui trahit un affaiblissement profond du discours de la résistance.

Cette attitude produit cependant un effet boomerang. Dans plusieurs capitales arabes, la jeunesse militante, les intellectuels engagés et même certains gouvernements commencent à remettre en question la sincérité du soutien iranien à la Palestine. L’abstention tactique de Téhéran est perçue comme une forme de trahison. Gaza devient une cause abandonnée par ses prétendus alliés. L’axe de la résistance perd ainsi de sa force symbolique. Il devient un réseau d’intérêts. Un mécanisme froid. Une alliance sans âme.

Ce désenchantement ouvre une nouvelle page dans la diplomatie régionale. Il oblige les autres acteurs à repenser leur positionnement. Il affaiblit la posture morale de l’Iran. Il crée une vacance que certains pays plus équilibrés pourraient occuper avec légitimité.

 

Un vide à combler

Parmi ces pays, le Maroc se distingue. Depuis toujours, le Royaume a affiché un soutien clair à la cause palestinienne sans sombrer dans les extrêmes. Il préside le Comité Al Qods. Il soutient les droits des Palestiniens à l’autodétermination. Il défend la solution des deux États dans les enceintes internationales. Il aide matériellement les populations de Gaza. Sa position est connue, constante et crédible.

Dans le même temps, le Maroc a développé une diplomatie pragmatique avec Israël. Cette ouverture n’a jamais été au détriment de la Palestine. Elle s’inscrit dans une logique de coopération économique et de stabilité régionale. Elle traduit une volonté de contribuer à la paix plutôt que d’alimenter la guerre. Cette posture équilibrée donne au Maroc une légitimité singulière. Ni dans l’idéologie, ni dans la compromission, mais dans la lucidité constructive.

Le retrait progressif de l’Iran offre ainsi au Maroc une opportunité stratégique. En maintenant son cap, le Royaume peut devenir un acteur central dans les processus de médiation. Il peut défendre la cause palestinienne avec rigueur tout en dialoguant avec toutes les parties. Il peut peser par la modération et l’efficacité. Il peut incarner une nouvelle génération de leadership dans le monde arabe et musulman.

Ce rôle est d’autant plus important que la région évolue rapidement. L’Arabie saoudite, les Émirats, la Turquie, le Qatar, l’Égypte multiplient les ajustements tactiques. Chacun cherche à gagner en influence. Les rivalités classiques laissent place à des coalitions mouvantes. Dans ce contexte volatil, la constance marocaine devient un atout. Elle inspire confiance. Elle rassure. Elle attire le respect.

 

Un tournant régional majeur

L’attitude iranienne marque sans doute la fin d’un cycle. Celui d’un Iran révolutionnaire, intransigeant, donneur de leçons. L’heure est au calcul, à la gestion des risques, à l’adaptation. Cette évolution est compréhensible du point de vue stratégique. Mais elle a un coût moral. Elle déstabilise l’axe idéologique construit pendant des décennies. Elle laisse les peuples sans repères clairs. Elle transforme les symboles en outils diplomatiques jetables.

Dans ce vide de sens, certains États peuvent choisir d’embrasser une diplomatie de principes. Le Maroc a déjà posé les bases de cette nouvelle approche. Il défend des causes sans chercher à en tirer un profit politique immédiat. Il agit sans fanfare, mais avec méthode. Il parle peu, mais avance. Dans un monde saturé de slogans, cette discrétion peut devenir une force. La constance dans les valeurs finit par triompher du vacillement opportuniste.

Le cas de Gaza face à la stratégie iranienne devient un révélateur. Il montre ce que valent les alliances à l’épreuve de la guerre. Il distingue les discours des actes. Il permet de séparer les soutiens sincères des acteurs calculateurs. Il place les peuples face à une nouvelle carte du Moyen-Orient, où les repères se brouillent mais où les possibilités de renouvellement sont bien réelles.

Gaza n’est pas seulement un champ de ruines. C’est aussi un test moral pour les puissances régionales. Ceux qui l’abandonnent aujourd’hui risquent de perdre leur crédibilité demain. Ceux qui tiennent leur engagement malgré les vents contraires gagneront le respect durable des peuples. Dans cette recomposition, le Maroc a une carte à jouer. Il n’a pas besoin d’en faire un drapeau. Il lui suffit de rester fidèle à ses choix.

L’histoire retiendra les nuances. Elle retiendra les silences. Elle retiendra surtout les moments où les nations ont préféré la justice à l’ambiguïté. L’Iran a fait un choix. Il devra l’assumer. Le Maroc a tenu sa ligne. Il en récoltera les fruits.


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