FIDADOC 2025 : Agadir, creuset de la mémoire africaine

Par Mohammed Taoufiq Bennani
Sous le ciel océanique d’Agadir, où l’Atlas semble boire la lumière, la seizième édition du Festival International du Film Documentaire (FIDADOC) s’est achevée telle une offrande à la dignité humaine. La sentence de la vénérable Nishtha Jain, invitée d’honneur, que ‘le documentaire n’est pas un miroir de pitié, mais un outil de dignité’, a irrigué chaque projection, chaque débat, chaque silence chargé des salles obscures du cinéma Sahara. Du 13 au 18 juin, ce lieu est devenu l’épicentre palpitant d’un cinéma du réel où l’intime épouse le politique, tissant une fresque vibrante de l’Afrique et au-delà.
Filmer l’âme familiale
Le thème “Famille, communautés et écosystèmes créatifs” n’était point un simple slogan, mais une invitation à plonger dans les abysses des liens charnels et des fractures sociales. Neuf long-métrages, autant de continents émotionnels inexplorés au Maroc, ont dialogué avec les fantômes de l’histoire. Dans Cohabiter d’Halima Elkhatabi, les non-dits des relations hommes-femmes ont pris la texture du réel. Derrière le soleil de Dhia Jerbi a pansé les plaies béantes de mémoires traumatiques avec une délicatesse chirurgicale. “La force d’un documentaire,” murmurait Sylvie Ballyot, jurée et réalisatrice, “réside dans le regard porté sur le sujet, pas dans le sujet lui-même.” Ce credo trouvait son écho dans les coproductions audacieuses, du Liban ravagé (Green Line) aux luttes sociales sénégalaises, où la narration personnelle se mue en acte de résistance, en suture des déchirures collectives.
Alchimie des voix futures
Dans les coulisses, l’âme même du FIDADOC bourdonne depuis treize ans : la “Ruche documentaire”. Plus qu’un atelier, c’est un sanctuaire où s’élabore la cinématographie africaine de demain. Cent talents émergents, venus des quatre coins du continent, ont subi l’alchimie des résidences d’écriture, des ateliers “Produire au Sud”, et de l’épreuve du feu : le pitch face aux producteurs. “Cet exercice nous arrache à nous-mêmes,” confiait Lamia Lazrak, porteuse du projet Dar Marjana, “Il nous oblige à aller à l’essentiel, à clarifier nos intentions et à confronter notre projet à des regards extérieurs. C’est un véritable laboratoire de création qui m’a permis d’évoluer et de mieux cerner l’âme de mon film”. Ce laboratoire est un métier à tisser panafricain, comme le souligne Aboubacar Demba Cissokho, critique sénégalais : “Si un producteur marocain coproduit un film sénégalais ou malien, il aura naturellement intérêt à le faire exister aussi dans son pays. La coproduction permet de mutualiser les ressources, de partager les regards et de créer un vrai maillage panafricain”.
Le royaume, architecte de l’écran continental
Le Maroc n’est plus une simple scène, mais le pilier d’une renaissance cinématographique. Des 3 ou 4 long-métrages annuels du début du millénaire, le Royaume en enfante désormais vingt à vingt-cinq, sans compter l’essaim foisonnant des documentaires et courts. “Le Maroc est devenu la locomotive,” constate Cissokho, “par sa propre création et son soutien logistique aux phares continentaux comme le FESPACO.” Cette influence, nourrie par les initiatives royales de coopération Sud-Sud, transforme la pellicule en vecteur de diplomatie silencieuse. La preuve ? La présence massive de professionnels subsahariens à Agadir, et les hommages vibrants rendus à des pionnières comme la Libanaise Heiny Srour, dont Leïla et les loups résonne encore comme un cri de liberté.
Les manifestes des maîtres
L’hommage à Nishtha Jain fut un moment d’incandescence. La réalisatrice indienne dévoila sa liturgie : “Je consacre plusieurs semaines, parfois même des mois, à bâtir un pont de confiance avant que la caméra ne respire.” Son message aux jeunes cinéastes du Sud fuse comme un manifeste gravé au burin : “Contez les histoires qui hantent vos veines, fussent-elles périlleuses. Osez avec trois fois rien : l’authenticité est votre épée et votre bouclier.” Sylvie Ballyot, du haut de son expérience, saluait ce festival “engagé et nécessaire”, libérateur des carcans télévisuels. Le FIDADOC “met en lumière des voix singulières venues de partout, dans un esprit d’échange rare et profondément libre”.
Vers un écosystème résilient
Malgré les lauriers, l’ombre de la précarité rôde. “Le documentaire demeure l’enfant fragile des finances,” rappelle Cissokho, appelant à une mutualisation urgente des fonds africains. Hind Saih, présidente visionnaire du festival, porte un rêve plus vaste : “le festival poursuit sa mission de tisser des liens féconds entre Culture, Histoire et Société, tout en contribuant à la structuration d’un secteur du documentaire solide, audacieux et durable, capable de porter des voix singulières, d’archiver le présent, et de forger un héritage audiovisuel pour les générations futures” et “Nous croyons à son rôle dans la construction d’un imaginaire collectif, à sa capacité à façonner des consciences, à bâtir un secteur structuré, durable, doté d’une vraie économie.” L’ambition est claire, ériger le documentaire en “outil culturel puissant”, capable de saisir les convulsions et les espérances d’un continent en métamorphose. Déjà, la promesse germe : Farming Revolution de Jain et les pousses nées de la Ruche irrigueront en 2026 le réseau des instituts français au Maroc.
La moisson des regards invisibles
Alors que les lumières du Sahara s’éteignent sur cette édition 2025, le FIDADOC laisse derrière lui un champ fertile. Les projets murmurés dans le ventre de la Ruche essaimeront bientôt sur les écrans du continent. Dans un monde submergé d’images évanescentes, Agadir cultive l’essentiel : des récits où, selon l’oracle de Jain, “la dignité humaine résiste à travers le regard de ceux qu’on ne voit jamais”. Loin d’être un miroir brisé, ce cinéma-là est un fleuve patient, charriant les sédiments de l’Afrique à venir, une Afrique vue par ses propres yeux, racontée par ses propres voix, éternisée par sa propre lumière.