Festivals marocains : Entre pari risqué et modèle économique émergent

Par Kenza El Filali
Investir dans l’événementiel : un défi entrepreneurial
Monter un festival au Maroc n’est pas seulement une aventure artistique, c’est aussi un pari entrepreneurial. L’absence d’un modèle économique standardisé oblige les promoteurs à naviguer à vue, en s’adaptant aux réalités locales : pouvoir d’achat du public, infrastructures disponibles, attentes culturelles et climat politique. Trouver l’équilibre entre ambition artistique et viabilité financière devient une gymnastique délicate. Chaque édition est un test : il faut ajuster les tarifs, reconfigurer l’offre artistique, voire repenser entièrement l’expérience proposée au public.
Ainsi, un festival comme Oasis à Marrakech, orienté vers une clientèle internationale amatrice d’électro, a su imposer une identité forte en misant sur l’expérience “boutique” (sites exclusifs, nombre limité de billets, ambiance premium), tandis que Mawazine, à Rabat, s’est construit sur la gratuité d’une large partie de ses concerts pour fidéliser un public populaire tout en attirant de grands sponsors.
La programmation, clef de voûte du succès
Dans un marché encore jeune, la programmation artistique joue un rôle crucial. Créer un line-up cohérent demande une compréhension fine du public visé, mais aussi une capacité d’anticipation : il faut capter les tendances musicales tout en tenant compte de la diversité des goûts locaux. La réussite de festivals comme Jazzablanca à Casablanca ou Visa For Music à Rabat prouve que la qualité de la programmation peut fidéliser un public régulier, attirer des partenaires et renforcer la notoriété des événements.
Mais programmer de grands noms coûte cher. Cela impose souvent de lourds investissements initiaux, rentabilisés seulement après plusieurs éditions réussies. Pour contourner cette difficulté, certains festivals misent sur l’émergence artistique locale, réduisant ainsi les cachets tout en valorisant la scène nationale.
Partenariats, subventions et mécénat : la recherche d’équilibre
En l’absence d’une forte billetterie pour beaucoup d’événements, les partenariats privés (banques, opérateurs télécoms, marques de luxe) et les soutiens publics deviennent vitaux. Par exemple, Mawazine bénéficie d’un soutien important de l’association Maroc Cultures, qui assure l’organisation et la promotion du festival.
Cependant, la dépendance à ces financements fragilise les festivals face aux aléas économiques et politiques. Diversifier les revenus, qu’il s’agisse de merchandising, d’expériences VIP ou de contenus exclusifs, devient donc une stratégie de plus en plus recherchée.
Défis logistiques et ancrage territorial
Organiser un festival, ce n’est pas seulement attirer des artistes et vendre des billets : la logistique représente un défi permanent. Sécurisation des sites, hébergement, transport des équipes et du matériel, coordination technique : chaque détail peut influencer la réussite de l’événement.
Dans des villes secondaires ou à faible capacité hôtelière, comme Essaouira ou Ouarzazate, ces défis sont encore plus marqués. Cela explique pourquoi certains festivals migrent vers des hubs touristiques ou réduisent leur jauge pour préserver la qualité de l’expérience.
Ancrer les festivals dans leur territoire est aussi devenu essentiel : impliquer les habitants, faire appel aux prestataires locaux, valoriser les traditions régionales renforce leur légitimité et leur ancrage social.
Les nouvelles tendances : durabilité et expérience totale
Depuis quelques années, la durabilité est devenue un enjeu majeur : tri des déchets, énergies propres, circuits courts et limitation de l’empreinte carbone sont des critères que le public valorise.
Parallèlement, l’expérience immersive s’impose : il ne suffit plus d’offrir des concerts, il faut créer une immersion complète. Ainsi, depuis sa 15ᵉ édition en 2022, des festivals comme Jazzablanca proposent des espaces de détente, des food courts, des ateliers pour enfants et une scénographie urbaine qui transforme l’événement en un véritable lieu de vie. Le public ne vient plus uniquement pour voir un artiste, mais pour vivre un moment à part, dans une ambiance soignée, conviviale et sensorielle. Cela donne au festival le sentiment d’une parenthèse totale, où musique, art, gastronomie et rencontres s’entremêlent.