Exportations marocaines : Une nouvelle feuille de route pour changer d’échelle

Par Fayçal El Amrani
Le Maroc a officiellement dévoilé sa feuille de route du commerce extérieur pour la période 2025-2027, avec pour ambition de repositionner l’export au cœur de sa stratégie de croissance et de souveraineté économique. Présentée comme une réponse structurante aux défis de compétitivité, de diversification et de souveraineté industrielle, cette feuille de route vise à créer 76 000 emplois directs sur trois ans, à intégrer chaque année 400 nouvelles entreprises marocaines dans les circuits d’exportation, et à générer un surplus d’au moins 84 milliards de dirhams de chiffre d’affaires à l’export. L’approche adoptée repose sur un équilibre entre réformes structurelles et accompagnement ciblé des entreprises, avec une priorité donnée à la digitalisation des procédures, à la proximité territoriale à travers la mise en place de bureaux régionaux d’appui, et à la réduction des risques liés aux marchés émergents, notamment africains. Pour cela, l’État prévoit notamment un dispositif d’assurance publique complémentaire, doté d’une première enveloppe de 100 millions de dirhams, destiné à sécuriser les exportations marocaines face aux risques commerciaux et géopolitiques. Des plateformes comme One Shop Store Export, Trade.ma ou encore TijarIA viennent compléter cet arsenal d’outils pensés pour fluidifier le parcours export des entreprises marocaines et pour structurer des filières intégrées, appuyées sur une stratégie claire de ciblage pays-produits. Le ministère du Commerce a identifié à ce titre 22 marchés prioritaires et environ 200 produits à fort potentiel, pour un gisement total estimé à 120 milliards de dirhams, dont près de 12 milliards rien que pour le continent africain. Cette démarche vise à réduire la concentration des exportations marocaines, encore trop dépendantes de l’Union européenne (plus de 70 % du total) et de quelques secteurs dominants.
L’habillement marocain face au défi de la montée en gamme
Parmi les filières directement concernées par cette feuille de route figure le secteur de l’habillement, qui dispose d’un potentiel exportateur avéré mais encore sous-exploité. Fort d’une expérience de plusieurs décennies, ce secteur a longtemps reposé sur la production à façon, avec un savoir-faire reconnu dans l’assemblage textile. Toutefois, la part importante des prestations de sous-traitance, qui représentent encore près de 80 % de l’activité, limite fortement la valeur ajoutée captée localement. Le Maroc vend des minutes de couture, mais rarement des vêtements pensés et valorisés par ses propres marques. La montée en gamme que les professionnels appellent de leurs vœux ne signifie pas un abandon des gammes accessibles, mais une transformation progressive du rôle que jouent les entreprises marocaines dans la chaîne de valeur. Il s’agit d’abord de passer du simple façonnier à un acteur qui conçoit, co-crée, et vend, en intégrant les étapes clés du design, du choix des matières, et du positionnement produit. C’est aussi une question d’intégration industrielle : produire localement les tissus, maîtriser les étapes de finition, investir dans la teinture écologique et les accessoires, afin de mieux contrôler le produit final et en faire un vêtement qui porte une signature marocaine. Enfin, la montée en gamme répond aux nouvelles attentes des marchés internationaux en matière de durabilité, de traçabilité et de conformité environnementale. Ce mouvement vers plus de responsabilité, de technicité et de différenciation qualitative permettrait au Maroc de sortir d’un modèle vulnérable aux délocalisations et de consolider une identité propre dans l’univers du “Made in Mediterranean”. Ce repositionnement doit être accompagné par un investissement accru dans les composants stratégiques de la chaîne de valeur textile : la production locale de matières premières, le développement d’unités de teinture et d’ennoblissement, la maîtrise des accessoires et la structuration d’un savoir-faire de conception. Cette montée en gamme est également portée par des dispositifs d’appui à l’export, qui visent à transformer les façonniers expérimentés en véritables marques exportables. La feuille de route prévoit à ce titre des actions spécifiques pour identifier les niches à potentiel, faciliter les homologations à l’international et favoriser la montée en compétence des opérateurs sur les nouveaux marchés, notamment en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord.
L’agroalimentaire marocain à la conquête de nouveaux marchés
Autre pilier stratégique de cette feuille de route : le secteur agroalimentaire, qui représente l’un des premiers contributeurs aux exportations nationales hors phosphates. Avec une offre structurée autour de produits phares tels que les agrumes, les tomates, l’huile d’olive, les fraises, les conserves de poissons et les produits de terroir, le Maroc dispose d’une base solide mais encore perfectible. Les défis sont multiples : mise à niveau sanitaire, amélioration de la qualité, certification aux normes internationales, logistique adaptée, et surtout valorisation de la production pour passer d’un modèle d’export en vrac à un modèle transformé à haute valeur ajoutée. Plusieurs conventions d’investissement ont été signées en 2024 et 2025 pour accompagner la création d’unités de transformation, de conditionnement ou de surgélation, dans différentes régions du pays, y compris dans les zones rurales. Le but est de renforcer l’intégration industrielle, d’améliorer la conservation des produits et de permettre une exportation plus compétitive. Les coopératives agricoles et les PME agroalimentaires figurent parmi les bénéficiaires prioritaires de cette feuille de route, avec un accompagnement spécifique pour les aider à accéder à des marchés exigeants, comme ceux du Golfe, du Royaume-Uni ou du Canada. Le Maroc mise également sur la promotion de son label Made in Morocco dans l’agroalimentaire, avec un storytelling territorial autour des terroirs, de la durabilité et de la qualité. Des actions de visibilité sont prévues à l’international via des foires, des salons professionnels et des campagnes digitales ciblées, afin de donner aux produits marocains une identité propre et attractive. L’objectif est double : augmenter les volumes, mais surtout diversifier les destinations pour réduire la vulnérabilité aux fluctuations de la demande européenne.