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Entretien avec le romancier Mounir Serhani

Abdelhak Najib


Le Hangar met à nu les dessous du monde de l’Art

Poète et traducteur marocain, Mounir Serhani s’affirme en tant que romancier après la publication de son deuxième roman : Le Hangar, Éd. Orion, 200 p. Le romancier explore le monde des artistes-peintres et surtout celui des collectionneurs. Un roman sur l’art traite d’un thème inédit : le marché de l’art qui fait des marchands d’art de vrais vampires capables de se nourrir du déclin des autres.

Dites-nous, tout d’abord, qui est Mounir Serhani.

Je suis né au nord du Maroc, à Ksar El Kébir, en 1982, dans une famille pas très nombreuse, et c’est mon père qui m’a appris de lire à l’âge de quatre ans. J’ai baigné dans une ambiance regorgeant de livres. Certes, je ne maitrisais à l’époque que la langue arabe, cette langue adulée par feu mon père, mais j’ai vite découvert le charme de la langue française. Je cherchais les romans des écrivains classiques partout alors que la petite ville manque de librairies et de bibliothèques. J’ai donc entamé ma carrière d’écrivain en tant que traducteur et surtout en tant que chroniqueur littéraire. J’écrivais sur tout ce qu’on publiait au Maroc. Petit à petit, le goût pour l’écriture m’est revenu. J’ai publié trois recueils de poésie tout en restant fidèle à mon projet de départ et de prédilection : la traduction. Mon séjour lyonnais m’a beaucoup changé dans la mesure où j’ai rencontré des gens férus de livres, des écrivains européens etc. je n’oublierai jamais cette belle sensation qui m’a envahi quand j’ai rencontré le grand Mahmoud Darwich en 2007.

Votre Hangar vient après le succès de votre premier roman : Il n’y a pas de barbe lisse. Est-il donc différent ? S’agit-il d’une même ambiance ou d’un revirement radical ?

Vous n’êtes pas sans savoir que le premier roman est toujours le meilleur. On ne l’oublie jamais, on y découvre les frissons du romancier, le goût de la réussite et surtout le plaisir d’être lu par des gens qui vous font découvrir votre propre texte. Les rencontres auxquelles j’ai été invité resteront gravées dans ma mémoire. Je me réveillais le matin en émettant un cri de joie : Je suis écrivain. C’est une drôle de sensation. Aujourd’hui, après la parution du Hangar je me sens responsable davantage, surtout auprès de mes lecteurs. La joie des débuts cède la place à l’engagement. Je ne dois pas trahir les amis qui ont cru en moi. Effectivement, Il n’y a pas de barbe lisse est une histoire totalement différente de celle du Hangar. Mon deuxième roman m’a exigé un vrai travail de recherche et de documentation. Je devais lire des rapports, des catalogues, des beaux-livres, pour pouvoir écrire sur l’art et les artistes. Si le premier roman traitait de l’intégrisme et de ce que j’ai appelé les tueurs de la vie, le second aborde une autre question non sans « provocation ». L’univers dans lequel évolue mon personnage principal est un monde difficile à vivre : la magouille, la machination, l’arnaque, la versatilité, le double discours… Le collectionneur d’art dont je parle est un vrai vampire qui vit des malheurs des artistes. Sa gloire prend de l’ampleur au détriment de la vie de « ses » artistes. D’ailleurs Jean-François Clément affirme à ce sujet que : « Le collectionneur est un être exhibitionniste qui cherche à séduire les autres. Et il doit le faire pour deux raisons. D’une part, il a la réputation de conserver des œuvres qui pourraient devenir un jour un patrimoine collectif. Et l’appui de l’opinion lui est nécessaire pour obtenir divers avantages lui permettant de constituer son stock. Mais le collectionneur n’est pas seulement un collectionneur. Pour vivre, on constate qu’il vend, de temps à autre, des œuvres extraites de ce stock qui sont proposées à des personnes qui sont autorisées à pénétrer dans le hangar. L’acheteur est quelqu’un qui doit être séduit et auquel il faudra raconter une histoire qui le fasse rêver. S’il n’y a pas des œuvres pour tous les clients, il y a des clients pour toutes les œuvres puisqu’il suffit d’en parler et d’hypnotiser l’acheteur.
Il n’y a pour lui que des « produits » comme il n’existe pour la plupart des grands galeristes que du stock. »

Pourquoi ce titre : Le Hangar ?

Au début, je voulais opter pour un titre qui s’inscrit dans l’immédiateté, Le collectionneur d’art, mais je me suis rendu compte de sa littéralité. Après maintes réflexions, le mot a surgi comme une fulgurance. C’est cela mon histoire avec les titres que je choisis, ou ce sont plutôt des titres qui me choisissent ! Ils viennent vers moi. C’est le lieu où tout se passe et dans lequel toute l’histoire se déroule avec toutes ses péripéties et ses rebondissements. Dans sa postface, Jean-François Clément a pris le titre dans une acception politique dans la mesure où le hangar correspondrait au makhzen. Pour moi, cette connotation n’a rien de délibéré ou de conscient. En somme, je ne voulais juste éviter un long titre, j’ai préféré donc aboutir à un seul mot qui dit un peu les dessous de mon texte tout en laissant le lecteur en suspens. Les titres programmatiques imposent souvent une lecture et force le sens. Il fallait esquiver tout ce qui est susceptible d’être prosaïque.

Vous avez changé de maison d’édition, parlez-nous d’ORION.

Tout à fait, j’ai choisi de publier Le Hangar chez ORION éditions car cette maison nouvellement fondée par des professionnels m’a vite intéressé pour plusieurs raisons. Primo, ORION opte pour une qualité éditoriale dont les paramètres sont internationaux (papier-bouffon, couverture plastifiée). Secundo, c’est une maison dotée d’une équipe professionnelle qui respecte le travail des écrivains en s’accordant du temps pour lire leurs manuscrits et qui veille à ce que le livre paru soit présent dans toutes les librairies. Tertio, après la sortie du roman, une campagne de promotion se fait par la maison d’édition à tel point que je me trouve agréablement surpris et submergé par le flux d’articles et de communiqués parus dans tous les quotidiens et magazines marocains. Je crois que c’est tout ce qu’on souhaite quand on est écrivain au Maroc. Orion éditions est une promesse de prospérité pour la promotion de notre littérature et de notre culture.

Vous avez publié trois recueils de poésie, un essai philosophique, une étude critique, et traduit une dizaine de poètes marocains, d’où vous vient cette prolixité ?

Bon qu’à ça, comme disait l’autre ! J’écris pour moi-même, avant tout. L’acte d’écrire est une réelle thérapie, une véritable cure et surtout un désenchantement. Plus j’écris plus je me désillusionne.

Que pensez-vous de la réalité de la littérature au Maroc ?

Elle est plus active qu’avant. Une nouvelle génération est en train de s’installer et de nous proposer une nouvelle littérature, une nouvelle vision du monde, une nouvelle forme d’écriture. Cette même génération s’inscrit a fortiori dans le nouveau et aspire à l’universel. Cela reste un challenge, pas plus. Si on le réussit, on aurait effectué un véritable tournant dans l’histoire littéraire du pays. On écrit ici et maintenant dans l’espoir de « délocaliser » des thématiques et des visions à vocation locales.

Que lisez-vous ?

J’aime toujours qu’on me pose une question sur mes lectures car cela me permet de présenter ces amis dignes de ce nom ; ces amis que je fréquente au quotidien tels que René Char, Emil Cioran, Mircea Eliade, Franz Kafka, Stéphan Zweig, Annie Arnoux, Philippe Roth, Ernest Hemingway, Garcia Marquez, Brogés, Sara Mago… pour ne citer que ceux-ci. Mes lectures s’inscrivent à la croisée des disciplines : la littérature, la philosophie, la science et l’histoire de l’art. Je crois qu’un bon écrivain se doit d’être un lecteur boulimique qui lit et ne cesse de lire. En lisant, on s’imprègne des autres et on fuit l’ennui de l’acte d’écrire qui s’empare souvent de nous quand on s’y adonne. Lire c’est se déniaiser, se défaire de la naïveté intellectuelle à même de nous plonger dans un ego faussement hypertrophié.

Quel est votre projet à venir ?

A vrai dire, je n’ai jamais de projet d’écriture. Je suis mon humeur qui change au quotidien. D’ailleurs, je lis plus que j’écris car, à mon sens, un écrivain digne de ce nom, se doit d’être un grand lecteur. Récemment, je relis quelques recueils de poésie qui ne quittent guère mon chevet. Et puis je dois vous avouer que j’ai des périodes d’écriture. Quand j’écrivais Le Hangar, j’avais une envie folle de me mettre à la poésie et quand je suis en train d’écrire de la poésie je pense à une esquisse de roman. J’ai des habitudes insolites : j’écris au volant, dans un café bruyant, la nuit, bref dans des endroits et des moments improbables. Pour répondre à votre question tout à fait légitime, je dirais que je suis en train de peaufiner mon quatrième recueil de poésie : La Discipline de l’oubli. Parallèlement, je compte écrire un roman sur l’apostasie ! Voilà j’écris pour ne pas mourir d’ennui. Chaque livre écrit est un suicide différé, comme aimait à dire le grand Cioran.


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