Entre influenceurs haineux et propos controversés de Macron, la relation franco-algérienne sur la corde raide

AFP
Des influenceurs algériens en garde à vue pour avoir diffusé des appels à la haine en France, une nouvelle empoignade diplomatique autour de l’arrestation d’un écrivain franco-algérien à Alger… la relation entre France et Algérie, historiquement tumultueuse, connaît de nouveaux remous.
Trois Algériens ont été récemment interpellés pour avoir mis en ligne des contenus appelant à des actes violents, souvent à l’encontre d’opposants au régime algérien.
L’un d’eux a été arrêté vendredi près de Grenoble, grande ville des Alpes françaises, après avoir publié une vidéo qui, retirée depuis, demandait de “brûler vif, tuer et violer sur le sol français”, selon une capture d’images reprise par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
“Je suis avec toi Zazou”, a également posté cet homme, s’adressant à un autre internaute algérien, Youcef A., dit “Zazou Youssef”. Interpellé quelques heures plus tôt, celui-ci appelait à perpétrer des attentats en France contre “les opposants au régime en place en Algérie”, selon la justice française.
“Tuez-le, laissez-le souffrir”, lançait sur TikTok le troisième interpellé, évoquant un manifestant algérien antirégime. La justice a également ouvert des enquêtes contre deux autres influenceurs franco-algériens pour des vidéos haineuses.
“Des dizaines” d’internautes algériens ou franco-algériens ont ainsi mis en ligne des contenus hostiles, affirme à l’AFP l’opposant algérien Chawki Benzehra.
Youcef A. était suivi sur TikTok par plus de 400.000 abonnés. Son compte a depuis été supprimé par la plateforme.
Un phénomène “orchestré” par les autorités algériennes, accuse M. Benzehra, lui-même réfugié politique en France. En témoigne, dit-il, le fait que la Grande mosquée de Paris, financée par l’Algérie, “accueille aussi des influenceurs”.
Des propos “diffamants” émanant d’un “obscur blogueur” et relevant d’une “campagne calomnieuse intolérable”, a réagi l’établissement religieux, qui souligne à l’inverse son “rôle constructif pour la relation entre les deux pays”.
Selon plusieurs opposants algériens en France interrogés par l’AFP, ces messages particulièrement violents se sont intensifiés après que la France, ex-puissance coloniale, a changé de doctrine sur le Sahara occidental.
Cette ex-colonie espagnole au statut non défini à l’ONU est le théâtre d’un conflit depuis un demi-siècle entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.
Emmanuel Macron s’est aligné fin juillet sur l’Espagne et les Etats-Unis, estimant que l’avenir du Sahara occidental s’inscrivait “dans le cadre de la souveraineté marocaine”. Ce qui a causé un réchauffement avec Rabat et une nouvelle crise avec Alger, qui n’entretient plus de relations diplomatiques avec son voisin depuis août 2021.
Alors que le président français avait entamé à l’été 2022 un “rapprochement” avec l’Algérie sur “la question de la mémoire, du passé colonial”, lié à la guerre d’indépendance qui a fait des centaines de milliers de morts et de blessés, son positionnement sur le Sahara occidental a été vécu par Alger comme “une trahison”, observe Riccardo Fabiani, analyste pour l’ONG Crisis group.
Autre sujet de tension, le sort de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, incarcéré depuis mi-novembre en Algérie pour atteinte à la sûreté de l’Etat, et qui se trouve dans une unité de soins depuis mi-décembre.
Selon le quotidien français Le Monde, Alger aurait mal pris des déclarations de M. Sansal au média français Frontières, réputé d’extrême droite, reprenant la position du Maroc selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie.
“L’Algérie que nous aimons tant (…) entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner”, a lancé lundi Emmanuel Macron, demandant la libération de l’écrivain “détenu de manière totalement arbitraire”.
“Des propos du président français qui déshonorent, avant tout, celui qui a cru devoir les tenir de manière aussi désinvolte et légère”, a réagi mardi la diplomatie algérienne, dénonçant “une immixtion éhontée et inacceptable dans une affaire interne algérienne”.
“Un point de non-retour vient d’être atteint”, relève Hasni Abidi, directeur du Centre d’études sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, interrogé par l’AFP.
Ces “propos durs et inhabituels” de Macron vont “renforcer les partisans d’une rupture totale entre les deux pays” et “illustrent l’échec du président (français) dans sa politique algérienne”, regrette-t-il.
“On est face à un chef d’Etat français qui ne sait pas se tenir”, “se laisse aller à ses émotions, ne respecte pas les formes”, et un pouvoir algérien d’une “très grande sensibilité pour tout ce qui vient de l’Etat français”, analyse la chercheuse du CNRS Karima Dirèche.
Malgré ces “escarmouches” trop régulières, la relation franco-algérienne reste toutefois “solide” au niveau économique ou sécuritaire, souligne-t-elle. Et d’ironiser : “la France-Algérie, c’est un duo qui se bat régulièrement en duel”.