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El Houssaine Mimouni: L’échelle du temps

Abdelhak Najib


Au fil des années, El Houssaine Mimouni est devenu un incontournable des grandes expositions un peu partout dans le monde. Il est aujourd’hui un nom qui compte dans la peinture marocaine, avec une réelle présence internationale. Il suffit de jeter un œil à la liste de ses expositions pour voir que son travail a sillonné le monde et conquis les grandes scènes artistiques dignes de ce nom. Ce qui nous amène à nous pencher sur les différentes variations dans ce travail, qui, à chaque fois étonne par la fraîcheur de ses recherches et la profondeur qui traverse les œuvres d’une époque à une autre.

En plusieurs décennies, le peintre s’est attelé à mettre en place une philosophie de travail qui découle d’une exigence envers soi d’abord pour accomplir une œuvre compacte. Un ensemble de travaux homogènes dont la logique intérieure est limpide. Points et traits, écritures et formes, couleurs et graphismes, esquisses et dessins, ombres et lumières s’entremêlent dans un schéma qui n’est jamais préétabli. D’emblée, un constat de base: souvent les toiles de El Houssaine Mimouni semblent vides, elles donnent cette impression de prime abord, avec juste ce qu’il faut comme formes et couleurs pour dire l’essentiel, mais ce travail est tout sauf une apologie de la vacuité. Non, il est ici question d’une espèce de parcimonie dans le traitement qui se concentre sur le détail, qui tend vers la suggestion, qui focalise sur la composition dans l’espace et les ajustements entre différents degrés de lecture au cœur de la toile.

Le peintre donne à lire une peinture qui se situe à mi-chemin entre la suggestion du monde et la précision des outils qui le rendent accessible et intelligible. Entre collages, morceaux de choix littéraires, petits points neutres, dans un espace éclaté, tous ces mélanges de couleurs à la limite de l’effacement pour ne laisser paraître que le fond de ce qui est dit et de ce qui est vu, les différentes expressions et moyens pour les matérialiser informent sur l’étendue de la technique du peintre. La couleur est ici malmenée dans ce sens que le peintre en fait ressortir d’autres nuances, poussant le prisme chromatique à ses confins pour en scruter l’essentiel, encore une fois. Adossée à ce traitement fait de la couleur, c’est cette dualité entre le verbe et la forme qui octroie toute sa puissance à cette peinture qui s’est délestée de tant de poids classicisant.

Quand El Houssaine Mimouni compose ces grands formats ou alors se penche sur des supports plus petits, il a toujours la même adhésion à son matériau. “Je ne peux pas ne pas pénétrer ce sanctuaire qui est la toile. Ce besoin me dépasse. Vous pouvez nommer cela transe ou extase devant le travail, mais si je ne fais pas corps avec le tableau, rien ne se passe. J’ai besoin d’aller au bout de cette relation très fusionnelle avec la toile, c’est comme ça que j’arrive à travailler”, précise l’artiste, tout simplement. Une attitude qui confine à l’obsession d’un artiste qui est littéralement happé par son support de travail. Il faut le voir accroupi, à même le sol, la toile devant lui, à ses pieds, de toute sa longueur, comme un terrain en friche, qu’il parcourt tel un champ de bataille où se jouent tant de drames, de naissances, de découvertes et d’ajournements.
El Houssaine Mimouni arrive à force d’acharnement à faire corps avec le trait, la couleur et la forme. Il pénètre l’espace circoncis de la toile à la fois avec tendresse, violence, fougue, rage, colère et passion. Il la déflore, pour en toucher le cœur palpitant d’un simple geste, dans un beau lâcher de couleurs, dans un grand jet d’émotions. El Houssaine Mimouni a compris ce que l’espace pictural signifie. Ce sont ces déflagrations qui peuvent naître d’une simple rencontre entre un point et une ligne, entre un trait naissant et un rond qui se convulse, entre une lettre à peine esquissée et son pendant de l’autre côté de la toile, pourvu que le tout naisse d’une unique exigence d’être à son propre diapason, d’être en adéquation avec ce que le cœur dicte, avec ce que le corps imprime, avec ce que les mains déposent et que le regard juge, au final.
On le sait, pour creuser des sillons insoupçonnés dans n’importe quelle approche artistique sincère, qui va aux tripes et émane du cœur, il faut se mouiller. Il faut aller au charbon, c’est le cas de le dire ici dans un travail où la couleur charbon écrit de beaux passages sur l’humain et sa condition. Comme ce point toujours présent dans son travail, comme ce trait affolé qui se débat dans l’immensité vide de la toile, El Houssaine Mimouni traverse le monde comme un pèlerin, qui a une idée en tête et sait que pour la vérifier, pour lui donner vie, il lui faut prendre tous les chemins de traverse, sinon l’idée est condamnée à se travestir et partant à s’étioler, voire mourir sans espoir de retour.

D’où cette multiplication des thématiques sur la même variante( toujours ces lignes qui finissent par former des sillons, qui atteignent un stade de composition qui en fait des échelles sur le cadran du temps) pour en toucher toutes les possibilités imaginables, sans rechigner à l’idée de triturer encore et encore le même support dans des déclinaisons différentes, toutes gorgées de la même sève, mais que l’artiste refuse, parce que la magie tarde à opérer.
En cela, le peintre devient une espèce de mage qui sait ce qu’il attend et tant qu’il ne le voit pas concrétisé en visions tangibles, il lui faut reprendre le même procédé, encore et encore. Marie-Christine Vandoorne, revient avec acuité sur cette valeur du trait qui se transmue et prend d’autres tournures pour ouvrir d’autres horizons: “Quand la tache noire devient, renversée, une voile légèrement gonflée, quand trois feuilles frêles s’élèvent de la pirogue comme des mâts de fortune, quand les barreaux de l’échelle soulèvent le fragile esquif et bientôt le dépassent, l’on sent que l’artiste approche l’autre rive dont il peint le rêve tenace. Rêve que l’on ne peut réduire, semble-t-il, au décor nostalgique de la terre natale. Cette rive – étoile du poète Hölderlin – n’est-elle pas l’aboutissement même d’une esthétique voyageuse qui l’a embarqué dans une quête volontaire ?” Et ce rêve est l’unique garant pour le peintre, d’habiter poétiquement la terre, pour reprendre encore une fois cette formule si chère au poète Hölderlin.

El Houssaine Mimouni est finalement, au fil des périodes, semblable à un alchimiste. Un chercheur hanté par les multiples géographies de l’âme humaine. Peindre, c’est aimer pour lui, pour reprendre ici cette grande formule de Henry Miller parlant des fameuses oranges de Jérôme Bosch. Peindre, c’est recréer le monde dans de nombreuses variations, c’est le remodeler à sa guise, c’est aussi jouer au démiurge, sans perdre de vue cette impérieuse nécessité de rendre la vie dans ce qu’elle a de plus ouvert sur le monde dans ces multiples possibilités.

Dans ce processus de création, El Houssaine Mimouni prend à son compte, à chaque toile, une version de l’histoire du monde, toujours dans un décalage créatif qui ne se contente pas de doter l’expérience humaine de plus de profondeur, mais ajoute et préserve cette part de mystère sans laquelle l’humanité serait vaine et par trop prévisible. Il lui imprime ses doutes, ses angoisses, ses attentes, et c’est sur ce terrain que se joue toute la valeur de ces toiles déclinées comme autant de tablettes cunéiformes, sorties droit d’un autre âge, tels des témoignages contre l’oubli.

A ce niveau là de l’approche d’El Houssaine Mimouni, c’est le travail sur l’écriture, c’est le rapport à la lettre et au mot que l’on peut composer avec qui sont importants. D’abord l’artiste évite de tomber dans le déjà-vu en reprenant des techniques déjà usitées ailleurs, où le mot n’a souvent aucune signification, mais remplit un espace dans un souci de faire joli et couleur locale. Là, le peintre a tranché. La calligraphie est bannie. La lettre, le verbe, le texte quelles que puissent être leurs origines, priment, dans une volonté affichée de trancher avec toutes les modes ambiantes. L’écriture déclinée dans les toiles n’est pas un élément décoratif, loin de là. Au-delà du geste, il faut que les mots, tracés en couleurs et en formes, aient du sens, au-delà de leur signifiance première.


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