Casablanca, un concentré d’architecture avant-gardiste à préserver
AFP
Le rythme effréné de Casablanca ne laisse “pas le temps de vraiment apprécier” la ville, réalise Mehdi Ksikes, touriste d’un jour, en redécouvrant le centre de la capitale économique marocaine, considéré comme un concentré architectural unique d’influences marocaines et européennes d’Art déco.
Chaque année pendant le mois de ramadan, des visites nocturnes sont organisées à travers différents quartiers casablancais par l’association Casamémoire pour sensibiliser à la préservation d’un patrimoine parfois en situation critique, abandonné ou objet de convoitises immobilières.
“Je suis né à Casablanca, j’y vis, mais cela ne m’empêche pas de découvrir des choses”, relève au cours d’une visite Mehdi Ksikes, un gérant de société de 51 ans. La vie dans cette métropole bouillonnante de plus de trois millions d’habitants est telle qu'”on ne prend pas le temps de vraiment l’apprécier” alors qu'”il y a encore des trésors à préserver”, commente-t-il.
“Notre combat aujourd’hui est la valorisation de ce patrimoine,” explique Yacine Benzriouil, membre de Casamémoire, créée en 1995 après la destruction de plusieurs bâtiments historiques remplacés par des structures modernes de bureaux et d’habitations.
Il faut “réfléchir à comment faire vivre ces bâtiments avant qu’ils ne soient condamnés à disparaître”, poursuit ce guide bénévole, l’un des 200 à avoir animé les “Nocturnes du patrimoine” qui ont réuni 4.000 participants en deux jours fin mars.
Contrairement à d’autres villes historiques du Maroc, l’héritage architectural de Casablanca ne se limite pas aux murailles de sa médina qui datent du XVIIIe siècle, mais comprend un tissu urbain éclectique et expérimental, conçu en plein essor de l’économie coloniale sous le protectorat français (1912-1956).
De jeunes architectes européens en ont fait “une ville d’avant-garde dans l’exploration des théories architecturales et urbaines du XXe siècle”, explique à l’AFP le président de Casamémoire, Karim Rouissi.
Ils ont construit des bâtiments au style néo-mauresque inspiré de l’architecture coloniale en Algérie et en Tunisie, puis ont développé le néo-marocain caractérisé par des structures classiques intégrant l’artisanat marocain, avant la prolifération de l’Art déco, précise M. Rouissi, également architecte.
L’ancien quartier administratif compte parmi les plus belles constructions néo-marocaines de la ville, regroupées autour d’une vaste place, parmi lesquelles le tribunal de première instance ou la wilaya (préfecture).
Celle-ci est un parfait exemple du mélange d’influences. Inspiré d’un palais de Sienne en Italie, le bâtiment s’ouvre sur l’extérieur avec des balcons structurés par des arcs et surmontés de tuiles vertes, deux éléments très courants dans l’architecture marocaine, selon Casamémoire.
Une fois à l’intérieur, tout comme dans le Palais de justice, de beaux patios verdoyants, tapissés de zelliges (mosaïques faites à la main), se révèlent.
A quelques pas de là, une guide explique que les pierres polies encadrant certaines fenêtres de la Banque centrale s’inspirent des minarets des mosquées de la Koutoubia à Marrakech et de la Giralda à Séville, construites au XIIe siècle sous la dynastie des Almohades.
Ces éléments traditionnels y coexistent avec des détails Art déco, comme la verrière intérieure en forme de ruche.
Si certains joyaux architecturaux sont parfaitement préservés, comme le cinéma Rialto ou la Poste, d’autres tombent en décrépitude.
D’après Hassan Zohal, responsable au ministère marocain de la Culture, 100 bâtiments de Casablanca doivent “prochainement” être inscrits à la liste du patrimoine national, s’ajoutant aux 483 déjà recensés.
Cela oblige les propriétaires à préserver l’architecture originale des façades lors de la réalisation de travaux.
Yacine Benzriouil, T-shirt jaune barré du message “Volontaire pour mon patrimoine” sur le dos, souligne que si les autorités sont conscientes de l’intérêt architectural et patrimonial de ces bâtiments, certains demeurent fermés.
“La bataille de la conservation est à moitié gagnée”, estime-t-il, appelant à “encourager des investisseurs à les acheter pour y installer leur siège”.
Sur le boulevard Mohammed VI, l’hôtel Lincoln illustre son propos.
Emblématique, l’établissement a été laissé à l’abandon des décennies durant, avant que des investisseurs privés lancent le projet de sa reconstruction, avec remise à jour de la façade originale de 1917.