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Benkirane : “Je suis interdit d’accès aux antennes des médias publics”

Benkirane face au silence institutionnel

Par Yassine Andaloussi


Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement marocain et figure centrale du Parti de la Justice et du Développement, a récemment affirmé être interdit d’accès aux antennes des médias publics. Cette déclaration n’est pas anodine dans un contexte national où la parole politique est de plus en plus encadrée. Elle s’inscrit dans une dynamique propre à Benkirane, une manière d’exister politiquement en dehors des structures formelles, en s’appuyant sur une rhétorique bien maîtrisée de mise à l’écart et de dénonciation.

L’ancien chef du gouvernement n’en est pas à sa première sortie de ce type. Il a souvent recours à ce procédé discursif qui consiste à dénoncer une marginalisation ou un complot contre sa personne. Depuis son retrait du pouvoir exécutif, Benkirane utilise principalement des prises de parole directes lors de rencontres partisanes, d’événements religieux ou à travers des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Son style reste fidèle à lui-même, combinant franc-parler, humour, piques ciblées et une certaine théâtralité dans la posture.

Affirmer qu’il est interdit de radio et de télévision revient à envoyer un message à la fois à ses partisans et à ses adversaires. Pour les premiers, il renforce l’image du leader que l’on tente de faire taire car il dérange. Pour les seconds, il rappelle qu’il reste une voix influente, capable de capter l’attention sans même disposer des canaux institutionnels classiques. En agissant ainsi, Benkirane transforme une absence médiatique en opportunité stratégique.

Ce type de discours résonne d’autant plus dans un paysage politique figé. Depuis les élections législatives qui ont écarté son parti de la majorité, le champ politique national semble privé de dynamique. Le gouvernement actuel peine à imposer une narration forte et audible. L’opposition institutionnelle reste inaudible ou absente du débat. Dans cet environnement, chaque déclaration marquante prend une dimension particulière. Et Benkirane le sait pertinemment. Sa sortie sur l’interdiction médiatique est donc tout sauf improvisée.

Les médias publics au Maroc sont souvent critiqués pour leur traitement déséquilibré de la parole politique. Il est difficile de nier que certains courants bénéficient d’une présence récurrente alors que d’autres sont invisibles. Que cette invisibilité soit formelle ou simplement le fruit de choix éditoriaux n’enlève rien à la réalité perçue par l’opinion. En ce sens, l’absence de Benkirane sur les écrans et ondes est manifeste. Aucun débat, aucune invitation, aucun plateau ne lui a été ouvert depuis plusieurs années, malgré le fait qu’il reste l’un des rares hommes politiques capables de mobiliser l’audience.

Plutôt que de chercher à réintégrer le système, Benkirane utilise ce silence à son avantage. Il transforme l’exclusion en preuve de sa pertinence. Il en tire une force argumentative qui renforce son image auprès d’un public sensible à la critique de l’élite et du verrouillage institutionnel. Ce jeu est finement calibré. Il n’a besoin d’aucune confirmation officielle de son interdiction pour installer dans l’imaginaire collectif l’idée qu’il est volontairement écarté du débat public. Et c’est justement cette capacité à créer une narration parallèle qui fait de lui un acteur redouté, même sans mandat.

La posture de victime d’un système fermé est une constante dans le discours de Benkirane. Elle fonctionne d’autant mieux qu’elle entre en résonance avec un sentiment partagé par une partie de la population, celle qui perçoit les institutions comme distantes et peu réceptives aux aspirations populaires. L’ancien chef du gouvernement capte ce malaise et le reformule dans un langage accessible. C’est là que réside sa singularité. Il parle là où les autres calculent. Il accuse là où les autres esquivent. Et cela lui donne une forme d’authenticité dans un champ politique saturé de technocratie.

Ce nouvel épisode soulève une question plus large. Comment un État peut-il prétendre à un fonctionnement démocratique solide si des figures politiques de premier plan sont durablement privées d’espace d’expression dans les médias nationaux ? Le pluralisme ne se mesure pas seulement au nombre de partis ou à l’organisation d’élections. Il s’incarne aussi dans la capacité à entendre des voix divergentes, à accorder une place équitable aux anciens responsables comme aux jeunes figures émergentes. Si le silence s’impose comme norme pour les opposants, alors c’est l’ensemble du débat national qui s’appauvrit.

Benkirane, en dénonçant son exclusion, soulève sans le dire un problème structurel. Il ne se contente pas de parler pour lui. Il met en lumière un déficit de respiration démocratique dans l’espace public. Sa voix, bien qu’informelle, devient le miroir d’une scène politique où le dissensus est toléré tant qu’il reste marginal, mais rapidement freiné dès qu’il gagne en puissance. En affirmant qu’on veut l’empêcher de s’exprimer, il provoque une réaction chez ses auditeurs, qui n’est pas tant de compassion que de doute sur l’état réel des équilibres institutionnels.

Malgré cette mise à l’écart, Benkirane continue d’exister politiquement. Il s’impose comme une figure de dissidence légitime, oscillant entre le rôle du sage qu’on néglige et celui du gêneur qu’on craint. Les réseaux sociaux, les cercles militants et les relais communautaires assurent la diffusion de sa parole. Il compense l’absence médiatique par une omniprésence dans les canaux parallèles. Et c’est là toute la complexité de son rapport au pouvoir. Il n’en fait plus partie, mais il l’interpelle en permanence. Il le critique tout en le connaissant de l’intérieur.

Dans un paysage politique qui semble tourner à vide, cette voix dissonante conserve une utilité démocratique. Elle rappelle que l’opposition ne se réduit pas à des sièges au Parlement, mais se mesure aussi à la capacité de maintenir une parole vivante, même dans le silence imposé.


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