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Autorégulation des médias : Entre responsabilité partagée et nouvel équilibre institutionnel

Par Fayçal El Amrani


La réforme du Conseil national de la presse s’inscrit dans un climat de méfiance et de tension entre les acteurs du secteur. Après plusieurs années de blocages internes et de mandats prorogés, la question de la légitimité de cette institution s’était imposée comme un enjeu central. Le projet de loi n°26.25, adopté par la Chambre des représentants le 22 juillet 2025, cherche à tourner cette page en posant les bases d’un modèle de régulation plus stable et plus représentatif.

Le précédent Conseil, installé en 2018, avait vu son mandat prolongé à plusieurs reprises après son expiration en 2022, sans qu’aucune élection ne soit organisée. Ce vide institutionnel avait suscité de vives critiques, notamment de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux, qui dénonçait une atteinte à l’esprit d’autorégulation. Pour la FMEJ, le maintien du Conseil par décision gouvernementale revenait à priver la profession de sa voix propre et à fragiliser son indépendance. Le gouvernement justifiait ces reports par la nécessité de réviser d’abord le cadre juridique avant de relancer le processus électoral, mais ce choix avait accentué le climat de défiance au sein du milieu médiatique.

Le nouveau texte adopté vise à rétablir cet équilibre. Il prévoit une recomposition du Conseil à dix-neuf membres répartis entre sept journalistes élus, sept éditeurs désignés par leurs organisations, trois représentants d’institutions nationales, ainsi que deux personnalités reconnues pour leur expérience. Ce modèle hybride se veut un compromis entre légitimité élective et stabilité institutionnelle. Les étapes à venir concernent désormais la mise en œuvre de la loi, l’organisation des élections et la désignation des membres institutionnels qui devront, ensemble, relancer une autorité fragilisée par les divisions des dernières années.

Mais cette réforme, présentée comme un tournant, n’a pas convaincu tout le monde. Plusieurs médias arabophones, dont Al3omk, Alyaoum24, Alayam24 ou Hespress, ont relayé de fortes réserves sur le texte, soulignant un manque de concertation réelle avec les professionnels. Ces publications évoquent un sentiment d’exclusion ressenti par une partie du secteur, estimant que le gouvernement a privilégié une approche unilatérale au détriment du dialogue. Certaines analyses alertent sur un risque de recentralisation du pouvoir de régulation et de réduction du pluralisme au sein du futur Conseil. Ces critiques trouvent un écho au sein de la profession, où la question du périmètre de l’autorégulation reste loin d’être tranchée.

La carte de presse professionnelle concentre, elle aussi, les inquiétudes. Ce document censé symboliser la reconnaissance officielle du métier a perdu de sa valeur. Le futur Conseil devra en restaurer la crédibilité et mettre fin à la confusion qui entoure son attribution. Ce qui suscite l’indignation, c’est de voir des influenceurs ou créateurs de contenu, éloignés du champ journalistique, obtenir une carte professionnelle, pendant que des journalistes expérimentés, actifs dans leurs rédactions et soumis aux règles de la déontologie, en sont privés. Cette situation mine la confiance dans le système de reconnaissance professionnelle et alimente le sentiment d’injustice dans le corps de métier.

Sur le plan économique, la réforme redéfinit aussi le rôle de l’État. Il ne s’agit plus d’un observateur lointain, mais d’un garant d’un cadre éthique et financier équilibré. Le principe de soutien public ne doit pas être perçu comme un privilège, mais comme un engagement mutuel fondé sur la transparence, la bonne gouvernance et la responsabilité. Ce cadre doit permettre aux médias de renforcer leur indépendance économique sans compromettre leur liberté éditoriale.

La question de la formation, enfin, reste un pilier de l’ensemble. Le Maroc connaît une multiplication d’écoles privées de journalisme dont la qualité varie considérablement. Il devient urgent d’instaurer un système d’accréditation capable de distinguer les établissements sérieux de ceux qui opèrent sans véritable encadrement. Les institutions publiques comme l’ISIC ou l’École de traduction de Tanger demeurent des références, mais la régulation doit désormais inclure une approche plus large de la formation et de la montée en compétence dans un secteur en mutation constante.

Cette réforme ouvre une nouvelle étape. Le Maroc se trouve face à un choix déterminant : faire du futur Conseil un espace de confiance et de responsabilité, ou laisser perdurer les logiques de méfiance et de fragmentation qui ont affaibli la profession. Tout dépendra de la capacité de la nouvelle instance à agir avec transparence, indépendance et respect du métier, pour redonner à la presse marocaine la place qu’elle mérite dans le débat public.


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