Alzheimer, le combat silencieux des aidants familiaux
LA VÉRITÉ
Chaque matin, Fatima, 62 ans, se réveille avec la même angoisse. Dans une petite maison nichée au cœur de Tanger, elle doit rappeler à sa mère qui elle est. “C’est moi, ta fille”, murmure-t-elle doucement, s’adressant à cette âme perdue derrière un regard éteint, plongé dans l’oubli.
Fatima fait partie de ces nombreuses femmes marocaines qui, dans l’ombre de leur foyer, affrontent un monstre qu’est la maladie d’Alzheimer. Depuis cinq ans, elle s’occupe de sa mère, autrefois dynamique et pleine de vie, aujourd’hui prisonnière d’un corps qui oublie, “c’est comme si je perdais ma mère un peu plus chaque jour”, confie-t-elle, la voix tremblante.
Les journées et les nuits de Fatima sont longues, étant donné que la maladie d’Alzheimer ne laisse aucun répit à l’aidant familial. Des tâches aussi simples que se laver ou manger deviennent des épreuves, “parfois, elle refuse de manger ou de bouger, c’est épuisant physiquement et moralement”, raconte-t-elle.
Des milliers de familles marocaines traversent le même chemin, souvent en silence. Les aidants familiaux, malgré leur courage et leur dévouement, sont souvent isolés, manquant de soutien et de ressources.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2019, la démence, dont 60% à 70% des cas sont attribués à la maladie d’Alzheimer, a engendré un coût économique mondial de 1,3 billion de dollars, dont la moitié provient des soins informels, principalement dispensés par des membres de la famille.
De nombreuses associations actives dans le domaine tentent de briser cet isolement. Cependant, malgré ces efforts, les initiatives restent limitées, voire rares devant l’immensité des besoins. En 2024, plus de 55 millions de personnes sont atteintes de démence dans le monde, et chaque année voit 10 millions de nouveaux cas, selon l’OMS.
Pour Fatima et tant d’autres aidants familiaux, ces services restent peu accessibles, “Je n’ai pas de famille proche pour m’aider, et je ne peux pas me permettre de payer quelqu’un pour s’occuper de ma mère. Je suis seule dans ce combat”, déplore-t-elle.
La démence touche de manière disproportionnée les femmes. Patientes ou aidantes, ces femmes fournissent 70% des heures de soins aux personnes atteintes de démence, selon l’OMS.
Portés par l’amour qu’ils vouent à leurs proches, les aidants familiaux sacrifient leurs vies pour leurs bien-aimés. Au sujet de sa mère, Fatima dit qu’elle ne peut pas l’abandonner, “elle m’a donné la vie, et maintenant, c’est à moi de veiller sur elle”, raconte-elle, la voix chargée d’émotion.
La démence est la septième cause de décès dans le monde et l’une des principales causes d’invalidité chez les personnes âgées. Bien que l’âge soit un facteur de risque majeur, d’autres éléments tels que l’hypertension, le diabète, l’isolement social et la dépression jouent également un rôle important.
Le Plan mondial d’action de santé publique contre la démence 2017-2025, lancé par l’OMS, vise à faire de la démence une priorité, à sensibiliser le public, à réduire les risques, et à améliorer le diagnostic et les soins.
La maladie d’Alzheimer ne détruit pas seulement les souvenirs. Elle fragilise les familles. Il est donc essentiel que l’aidant familial ne soit plus seul, car c’est à travers lui que passe la dignité du malade.