Agriculture: Élargir l’assurance agricole

LA VÉRITÉ / MAP
Le président de FINACTU, et l’expert international en assurance, Denis Chemillier-Gendreau, analyse, dans un entretien accordé à la MAP, la stratégie adoptée par le Maroc pour élargir et moderniser son assurance agricole.
M. Chemillier-Gendreau, qui retrace les principaux jalons de ce chantier si important pour l’agriculture nationale, souligne aussi que le Royaume, “précurseur en Afrique”, a pu accumuler, au fil du temps, une expérience “exemplaire” dans le domaine de l’assurance agricole.
– Finactu fournit des conseils stratégiques nourris par une connaissance fine de l’Afrique, de ses problématiques dans plusieurs domaines dont l’agriculture. Quel regard portez-vous sur l’assurance agricole en Afrique et plus particulièrement au Maroc ?
De façon générale, l’assurance agricole en Afrique est dans une situation complexe et paradoxale, avec à la fois un besoin tout à fait considérable et peu de réalisations. Le besoin d’assurance agricole est considérable car nous avons de plus en plus besoin de l’agriculture pour nourrir nos populations mais le réchauffement climatique soumet cette agriculture à des aléas de plus en plus agressifs. C’est toute la particularité de l’Afrique, qui est à la fois :
– Le continent du record démographique : n’oublions pas qu’au rythme où vont les choses, l’Afrique représentera la moitié de la population mondiale à l’horizon d’un siècle ;
– Et un continent très affecté par les catastrophes naturelles, et notamment le réchauffement climatique.
Nous assistons donc à un effet ciseau avec une agriculture qui doit délivrer davantage mais qui est, chaque année, plus affectée par les sécheresses, les inondations, les criquets, les ravageurs, etc.
Ce paradoxe existe aussi au Maroc, mais de façon atténuée. Et puis le Royaume s’est beaucoup investi en matière d’assurance agricole, donc les solutions existent.
– Comment évaluez-vous alors les réalisations du Maroc en matière d’assurance agricole au cours des dernières années ?
Sur le Continent, le Maroc est un précurseur en assurance agricole. Peu de pays d’Afrique peuvent en effet se vanter d’avoir plus d’un million d’hectares assurés ! Quand on regarde dans le détail, on voit même que le Maroc a été précurseur à trois reprises : -En 1994 d’abord, avec la création de la garantie sécheresse pour protéger la production céréalière du pays, alors que le monde parlait encore peu d’assurance agricole. Le Royaume a pu alors s’appuyer sur une compagnie d’assurance dédiée au monde agricole – la MAMDA – qui a pu mobiliser les forces et l’expertise requises pour transformer cette volonté politique en réalité économique ;
– En 2011 ensuite, avec la transformation de cette garantie en une véritable police d’assurance, et sa montée en force jusqu’à atteindre 1 million d’hectares assurés dès 2015. Le secret de cette transformation, c’est l’élargissement à plus de risques et plus de cultures (aux céréales et aux légumineuses ont été ajoutés les oléagineux) et une puissante subvention du ministère de l’Agriculture, confirmant au passage l’importance fondamentale que le gouvernement accorde à l’agriculture du pays ;
– En 2014 enfin, avec la création d’une garantie pour protéger l’arboriculture.
Aujourd’hui, les équipes FINACTU ont la chance d’être à nouveau mobilisées pour écrire avec le ministère de l’Agriculture une nouvelle page de l’histoire de l’assurance agricole marocaine : Il s’agit notamment de moderniser les systèmes existants afin de couvrir plus d’agriculteurs, aussi bien en céréales qu’en arboriculture.
L’ambition du ministère est forte, puisqu’il s’agit de passer de 1 million d’hectares de superficies assurées aujourd’hui à un objectif de 2,5 millions d’hectares d’ici 2030, et ce dans le cadre des objectifs fixés par le nouveau plan stratégique “Génération Green”
Ce qui est intéressant dans l’expérience marocaine, c’est qu’elle procède d’une politique stratégique qui est à la fois mûrement réfléchie et déployée avec constance. Grâce aux plans stratégiques ( “Plan Maroc Vert” en 2008, “Génération Green” en 2020), grâce à la constance de la volonté politique et de l’équipe ministérielle depuis plus d’une décennie, le déploiement de l’assurance agricole s’est inscrit et développé dans le temps.
FINACTU participe à cette constance : Nous étions aux côtés du ministère de l’agriculture en 2011 puis en 2014, et nous le sommes aujourd’hui à nouveau …
– En tant que partenaire clé du Maroc dans le promotion de son assurance agricole, quelles sont vos recommandations pour faire de ce chantier un levier de développement de l’agriculture marocaine et de l’économie du Royaume en général ?
La réussite exemplaire du Maroc tient à son pragmatisme. Tous ceux qui s’intéressent à l’assurance agricole savent que sa mise en œuvre et son déploiement se heurtent au “dilemme de l’œuf et de la poule” : pour mettre en place une assurance, il faut des statistiques sur les risques agricoles et leurs impacts sur la production agricole ; mais pour accumuler des statistiques il faut … une assurance !
La façon dont le Royaume est sorti de ce dilemme est exemplaire : Dans un premier temps, le gouvernement a créé une garantie d’État, très largement subventionnée, lui permettant d’accumuler de l’information ; puis en 2011, dès que les statistiques sont devenues suffisantes, une vraie police d’assurance a été créée. Le même schéma est en cours avec la garantie arboriculture.
Et si le ministère de l’agriculture s’engage aujourd’hui dans une nouvelle étape de modernisation de l’assurance agricole, c’est parce qu’il dispose d’une décennie de statistiques que nous allons pouvoir “faire parler”, pour en tirer des pistes d’amélioration.
Un autre élément important de la stratégie marocaine est de s’appuyer sur des agrégateurs, qui assurent une intermédiation efficace entre la volonté politique et le monde agricole.
Dans les nombreuses missions que FINACTU conduit en matière d’assurance agricole en Afrique, nous incitons les gouvernements à suivre ce modèle marocain. De nombreux pays manifestent une forte ambition dans le domaine de l’assurance agricole : Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, etc.