Accord Maroc–Union européenne : La reconnaissance économique du Sahara entre lignes fines et réalités assumées
Par Hamza Abdelouaret
Depuis Bruxelles, c’est une ligne discrète, presque technique, mais qui change beaucoup pour Rabat. Le 2 octobre, la Commission européenne a approuvé un nouvel accord commercial avec le Maroc qui étend désormais les préférences tarifaires aux produits issus du Sahara. En apparence, il ne s’agit que d’un ajustement administratif pour se conformer aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne. En réalité, c’est un geste politique majeur, un signal clair que l’Union choisit la continuité du partenariat stratégique avec le Royaume plutôt que la rupture. Derrière ce compromis se joue une bataille de souveraineté, d’influence et d’économie, où le Maroc sort avec un atout consolidé, même si la prudence diplomatique européenne continue de peser sur la formulation.
Ce texte marque la fin d’un long bras de fer juridique et institutionnel. Après les annulations successives prononcées par la CJUE en 2016, 2021 et 2024, Bruxelles devait trancher : interrompre les flux commerciaux avec les provinces du Sud ou trouver une issue qui respecte à la fois le droit européen et la réalité politique du terrain. C’est cette seconde voie qui a été choisie. L’accord confirme que les produits originaires du Sahara marocain, poissons, tomates, melons, produits agricoles et halieutiques, bénéficieront à nouveau des tarifs préférentiels européens à condition qu’ils soient soumis au contrôle douanier du Maroc et qu’ils mentionnent clairement leur origine géographique. Le libellé “Laâyoune–Sakia El Hamra” ou “Dakhla–Oued Eddahab” apparaîtra désormais sur les certificats d’origine, une manière pour Bruxelles de dire sans dire, et pour Rabat de consolider sans forcer.
Pour le Maroc, cette décision est plus qu’une victoire économique. Elle consacre une reconnaissance de fait du Sahara comme partie intégrante de son espace de production et de commerce, intégrée dans le même cadre juridique et fiscal que le reste du pays. L’Union européenne, premier partenaire commercial du Royaume, admet ainsi implicitement que séparer le Sahara du Maroc reviendrait à affaiblir un partenariat stratégique dont elle a besoin, tant pour la stabilité régionale que pour ses intérêts économiques. Ce pragmatisme s’explique : les entreprises européennes, notamment espagnoles et françaises, dépendent des ressources halieutiques et des échanges agricoles avec les ports de Dakhla et de Laâyoune. Interrompre ces relations aurait été une erreur économique et politique à haut coût.
Mais cet accord reste calibré dans le langage et mesuré dans la portée. Bruxelles se garde bien de parler de reconnaissance politique et se réfugie derrière la notion de “bénéfice concret et vérifiable pour les populations locales”. Autrement dit, il s’agit d’un feu vert économique accompagné d’une condition humanitaire. Le Maroc, de son côté, s’engage à prouver que les revenus générés par ces échanges profitent effectivement aux habitants des provinces du Sud. Ce sera le point le plus sensible, car la Commission compte instaurer un mécanisme d’évaluation annuel sur l’impact de l’accord dans la région. C’est donc un terrain où Rabat devra montrer sa capacité de transparence et de bonne gouvernance, pour couper court aux critiques des ONG proches du Front Polisario qui dénoncent déjà un “accord illégal” ou une “spoliation organisée”.
La portée politique du texte dépasse pourtant le seul registre commercial. À l’heure où plusieurs capitales européennes, dont Madrid et Berlin, ont reconnu la pertinence du plan marocain d’autonomie comme base de solution, cette décision de Bruxelles agit comme une confirmation économique de ce tournant. En acceptant d’intégrer le Sahara dans le périmètre de ses accords tarifaires, l’Union renforce la normalisation progressive de la souveraineté marocaine dans les faits. Et ce choix n’est pas anodin : il reflète la place centrale qu’occupe le Maroc dans la politique de voisinage sud de l’Europe, notamment en matière de sécurité, de migrations et d’énergie renouvelable. Pour Bruxelles, Rabat est devenu un partenaire de stabilité, un allié fiable dans un environnement méditerranéen de plus en plus instable.
Sur le plan intérieur, cette avancée offre au Maroc une légitimité renouvelée. Les provinces sahariennes, désormais reconnues comme zones de production et d’exportation légitimes par le principal partenaire économique du Royaume, pourront renforcer leur attractivité auprès des investisseurs. Les projets structurants comme le port Dakhla Atlantique, les zones industrielles côtières ou encore les parcs d’énergie verte bénéficient directement de ce cadre commercial stabilisé. À terme, ce sont les emplois locaux, les exportations agricoles et la logistique maritime qui devraient en tirer profit.
Reste que cette reconnaissance économique, aussi solide soit-elle, s’accompagne d’une prudence juridique. Rien n’empêche de nouvelles contestations devant la CJUE, et Bruxelles le sait. Mais le choix est politique : poursuivre la coopération, quitte à assumer un flou sémantique. L’Union a préféré le pragmatisme à la confrontation, la stabilité au symbole. Le Maroc, lui, a gagné une manche décisive dans la consolidation internationale de sa souveraineté, sans avoir besoin d’une déclaration tonitruante. Ce qui se joue à travers cet accord, c’est la traduction silencieuse d’une réalité que même les formules juridiques ne parviennent plus à masquer : le Sahara marocain est économiquement intégré, reconnu de facto, et inscrit dans le quotidien des échanges euro-marocains.
Cet accord ne clôt pas le débat diplomatique, mais il en modifie durablement la grammaire. Il démontre qu’en Europe comme ailleurs, la reconnaissance du Sahara marocain n’est plus une question d’intention mais de pratique. Et dans le langage des nations, les faits économiques finissent toujours par valoir plus que les déclarations.
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